Je
dormais près de mémé. J'étais petit, un bésot, et après des
semaines d'hôpital, de peau grise et fatiguée, les docteurs ayant
jugé que le danger était loin, le loup parti, je pouvais
réapprendre à me tenir debout et profiter enfin des jouets qui
s'accumulaient sur ma table de chevet. Mes parents m'ont confié à
mémé, à charge pour elle de remettre des couleurs dans mes
pupilles, du solide dans le ventre, de la confiance dans les bras et
de l'impatience dans les jambes.
Je
trouvais étrange, alors que j'étais enfant, que les grand-mères de
mes amis soient des «mamies », parce que moi, j'avais
des « mémés », Mémé Jeanne et Mémé Simone. Le
terme de Mamie sonnait très distingué à mes oreilles. Elles
devaient vivre en ville leurs mamies, parce que les miennes,
c'étaient des mémés, et des mémés, dans ma tête d'enfant, ça
ne pouvait vivre qu'à la campagne.
Mémé
Simone nous a quittés alors que j'étais en plein cœur de
l'enfance. Au-delà de la tristesse, je me souviens surtout d'avoir
vu mon père pleurer. Pudique, il sanglotait en faisant les cent pas
dans le salon, tandis que moi, je petit-déjeunais dans la cuisine.
Ce jour-là, l'enfance ne me protégea pas et une profonde
tristesse éclata dans ma poitrine, parce que mon père, pourtant si
dur et rigide, mais que j'adorais, pleurait. Un papa, ça ne pleurait
pas dans ma tête.
Je
ne reverrai ses larmes qu'une fois. Pas de vrais sanglots comme
lorsque mémé Simone s'est éteinte, non. Des larmes discrètes,
comme mon père, qui perlaient au coin de ses yeux alors que je le
serrais fort dans mes bras. J'avais trente ans passés, et j'aurais
voulu remonter le temps pour être encore une petite fille. Une
semaine après, ses yeux se fermaient pour toujours, et son souffle
de s’égrainer pour disparaître.
Mon
père, cette homme si effacé, traumatisé par l'Histoire même s'il
ne nous révéla jamais la sienne, aimait profondément sa mère, ma
mémé Simone, que je ne connus que trop peu, mais dont je garde le
sourire attendri de ces vacances aux relents de liberté à
travers les vignobles du Sancerrois.
Mais
ma mémé Jeanne...
C'est
elle que j'ai voulu retrouver dans ce Mémé
de Philippe Torreton, parce que moi aussi j'ai eu une mémé qui
aurait mérité qu'on écrive pour elle et sur elle. Ma mémé,
c'était la bonté incarnée, une personne comme il n'y en a plus.
C'est
un récit décousu, celui de la mémoire qui s'élève, virevolte, se
pose, et repart pour ressusciter tel ou tel événement, anodin ou
non, qui a ponctué sa vie. On sent Philippe Torreton ému, et je
n'ai pu que partager cette émotion qui vous prend aux tripes lorsque
vous vous remémorez un être que vous avez aimé, qui a été un
pilier de votre vie et les fondations de ce que vous êtes.
C'était
sa mémé normande, au sac plastique multifonction et à la table en
formica, qui portait les siens à bout de bras. Femme courage comme
tant d'autres oubliées de l'Histoire... Son petit -fils lui offre le
plus bel hommage qui soit, celui de l'amour.
Elle peut en être fière.
Elle peut en être fière.
Ma
mémé Jeanne avait elle-aussi une table en formica, appuyée contre
une porte -sa cuisine était vraiment petite- qui dissimulait un
placard-débarras, et qui était veillée par ses gardiens de
toujours, le frigo dont la porte s'ouvrait avec une pédale, et le
poêle. Et en face, pour lui faire la conversation,
l'évier-douche-baignoire, d'où ne sortait que de l'eau froide, et
la gazinière où elle me préparait les meilleures pommes dauphines
du monde et où je trempais mon pain dans le jus au beurre dans
lequel elle avait fait revenir la viande qu'elle allait acheter chez
le boucher. Toujours la plus tendre, s'il vous plait. Mes premiers
kilos sur les hanches sont sans doute dus à ces mouillettes que le passage de l'enfance à l'adolescence ne
pardonne pas.
Sa
petite maison était loin d'être un palace : une chambre qui donnait
sur la grand rue m'accueillait pendant les vacances, voisine du
boulanger qui mettait son pétrin en branle à 3 heures le matin, et
sa propre chambre qui faisait office de salon-salle à manger, et où
la nuit trônait un pot de chambre jaune, parce qu'il fallait
traverser la cour pour aller aux toilettes chez Mémé Jeanne, et que
la nuit, les chouettes aimaient s'exprimer et les chauves-souris
s’empêtrer dans les cheveux des petites-filles.
La
mémé de P. Torreton n'était pas la mienne, évidemment, la mienne
était berrichonne -ce détail a son importance !- mais j'ai
suivi les pérégrinations de l'esprit de cet adulte-enfant avec
plaisir, et en refermant ce petit bijou d'une sensibilité à fleur de peau, j'ai eu envie de lui parler
de ma mémé, parce qu'il aimait tellement la sienne, que je suis
sûre qu'il m'aurait comprise.
Mémé,
tu me manques, j'espère que tu as réussi à convaincre Papa de
jouer à la belote là-haut et que vous avez trouvé un 4ème
joueur, même si tu savais jouer à trois, mais ce n'était pas
pareil...
PS :
En écrivant cette chronique, je n'ai pu que penser à ma mère,
digne fille de ma mémé Jeanne, qui, lorsque ma nièce est née, sa
première petite-fille donc, ne voulait pas qu'elle l'appelle Mémé,
parce que vous comprenez, cela faisait « vieux », et
c'était une grand-mère jeune. Mais non, elle dut s'y résigner, une
moue boudeuse au bord des lèvres et un haussement d'épaules qui
disait « que voulez-vous, c'est comme cela ». Ma mère a
été une mémé, elle-aussi, et une mémé formidable, même si cela
a été trop court...
......................si Torreton ne t'a pas émue, toi tu l'as fait........... Ah les mémés, la mienne partie trop tôt était super trop méga fantastique... Peut être joue t elle à la belote avec ta famille la haut...elle adorait çà....Voilà, larme à l'œil ce matin...
RépondreSupprimerEh bien voilà le 4ème joueur pour la partie de belote. Si elle ne savait pas y jouer, mémé Jeanne le lui aura appris, elle aimait trop ça...
SupprimerAh, les mémés...
Et bien voilà ! J'ai envie de lire ce livre maintenant ! C'est qu'on les aime nos mémés et toi, tu as bien su mettre les mots sur ce qu'on ressent pour elles !
RépondreSupprimerC'est vraiment un très bel hommage à sa mémé, et comme tu le dis, on les aime nos mémés...
SupprimerJe n'ai pas lu ce livre, en revanche j'adore la citation mise en exergue de ce blog. Il y en a une autre qui me plaît beaucoup, elle est d'Erasme. C'est un ami qui me connaît bien qui me l'a envoyée: "Quand j'ai un peu d'argent, je m'achète des livres, et s'il m'en reste, j'achète de la nourriture et des vêtements."
RépondreSupprimerMerci beaucoup de ton passage, et de ce gentil commentaire!
SupprimerJ'aime beaucoup cette citation, qui me correspond bien (pour preuve la commande passée encore hier, mon banquier ne va pas être content!!)
c'est une chronique vraiment très touchante et magnifique. Merci. C'est étrange parce que pour ma part je n'ai jamais appelé mes grand mère mémé, que je n'ai jamais aimé mais mamie. Comme quoi ça doit dépendre des personnes.
RépondreSupprimerA mon avis, c'est surtout lié aux habitudes familiales...ou alors tes mamies habitaient en ville, et cela vérifierait ma théorie d'enfant!! lil
Supprimernon non pas spécialement, j'avais une dans une toute petit ville et une dans un tout petit village.
Supprimerje veux absolument le lire ! bravo et merci pour cette chro
RépondreSupprimerC'est un ouvrage particulier. J'y ai été sensible parce qu'il a trouvé un écho en moi. D'aucuns y ont trouvé un aspect décousu gênant. Moi j'ai aimé. Je l'ai ressenti...
SupprimerQuel hommage !!! Les temps changent , c ' était mémé a mon époque lol et ma mère qui est devenu grand mère et devenu mamie lol .
RépondreSupprimerBon week end
Merci beaucoup pour le compliment qui me touche. C'était une chronique importante pour moi. Il y a eu changement d'appellation dans ta famille alors? C'est rigolo...
SupprimerPour te répondre, j'étais fou de voir toutes ces librairies! C'est marrant car pendant le salon de Limoges, je me suis retenu d'acheter des livres (enfin, j'en ai pris quelques uns quand même) car j'avais des recherches précises à faire à Paris. C'est un vrai plaisir de pouvoir alterner les bouquinistes, les petites librairies spécialisées, et les très grandes. Cela m'a encore coûté une fortune et mon sac pesait une tonne! Enfin, ce week-end je vais au salon du livre de Montaigu, je sais déjà qu'il y aura des auteurs que j'apprécie beaucoup... Fort heureusement, ce n'est pas très loin de chez moi (Angers) et je vais pouvoir ramener beaucoup de livres! Enfin, il reste plus qu'un sérieux problème de place dans mon appartement...
RépondreSupprimerQuelle chance, des libraires d'occasion...elles ont toutes disparu là où j'habite, et c'est vraiment dommage...
SupprimerEnfin quelqu'un qui n'a pas honte de ses origines. Et puis quelle gloire posthume pour cette gentille "Mémé". Mes petits fils en feront-il autant ? À moi de faire en sorte que le souvenir que je leur laisserai soit bon...
RépondreSupprimerMerci beaucoup de ton passage! Oh oui, l'importance des origines, et ne pas renier d'où on vient, parce que finalement, c'est à partir de cela qu'on se construit...
SupprimerL'empreinte que m'a laissé ma mémé est là, et régulièrement, je pense à elle. Sans être un fil conducteur, elle guide mes pas parfois, elle et ma mère, parce qu'elle tenait beaucoup de ma mémé.
Je te souhaite vraiment cela, de tout coeur pour tes petits-enfants...Et qui sait, que l'un d'entre eux/ elles ait la même démarche que P. Torreton...
Oui mais a l ' inverse mémé habité la ville et mamie a campagne :)
RépondreSupprimerMa mère na pas voulu que ses petits enfants l ' appel "mémé " et du coup c ' est devenu mamie qui fait plus dans le coup pour de jeune retraité lol
Voilà voilà
C'était l'inverse chez toi, c'est rigolo!
SupprimerMa mère préférait elle-aussi le Mamie qui lui semblait plus jeune, mais elle n'a pas eu le choix, ma nièce a décidé pour elle, mais je crois surtout que c'est parce qu'elle avait beaucoup entendu parler de nos mémés à mon frère et moi...
Pas de livres d'occasions achetés à Montaigu, mais des auteurs très sympas que j'ai pu rencontrer!
RépondreSupprimerRaisonnable alors! Super pour les auteurs!!
SupprimerTrès joli texte Céline ....Il m'a rappelé mes deux "mamies" ( eh oui ! ) qui ,contrairement à ce que l'on peut penser , ne vivaient pas mieux que les mémés, surtout la plus modeste des deux qui était couturière en chambre. Chez elle , pas de chauffage central ( chez l'autre non plus d'ailleurs ) mais une cuisinière à bois dans le four de laquelle elle nous faisait cuire des tartes aux pommes fondantes et où , le soir , on mettait à chauffer les "briques" à glisser dans les draps car, les matins d'hiver, des fleurs de givre tapissaient souvent l'intérieur de la fenêtre de la chambre ....c'était les hivers rigoureux des années 60 .Ceux de mon enfance .
RépondreSupprimerAu fait, j'ai fini de lire " Le coeur cousu" : un petit bijou que je vais conseiller autour de moi !
De doux souvenirs que les tiens...Nos mamies / mémés ont laissé une empreinte que même le temps ne peut effacer...
SupprimerSuper pour le Coeur Cousu, suis contente!!!
Besos à toi ma belle...