samedi 30 novembre 2013

Complètement Cramé, Gilles Legardinier



Arrivé à un âge où ceux qu'il aimait sont loin ou disparus, Andrew Blake n'a même plus le cœur à orchestrer ses blagues légendaires avec son vieux complice, Richard. Sur un coup de tête, il décide de quitter la direction de sa petite entreprise anglaise pour se faire engager comme majordome en France, pays où il avait rencontré sa femme.
Là-bas, personne ne sait qui il est vraiment, et cela lui va très bien.
En débarquant au domaine de Beauvillier, rencontres et situations qui dérapent vont vite bousculer ses plans... Entre Nathalie, sa patronne veuve aux étranges emplois du temps ; Odile, la cuisinière et son caractère aussi explosif que ses petits secrets; Manon, jeune femme de ménage perdue; Philippe, le régisseur bien frappé qui vit au fond du parc, et même l'impressionnant Méphisto, Andrew ne va plus avoir le choix. Lui qui pensait en avoir fini va être obligé de tout recommencer.

Complètement Cramé, c’est indéniablement un livre complètement barré ! Mais qu’est-ce que cela fait du bien !

J’ai tourné la dernière page avec regrets, c’était déjà fini… Et pourtant, ce n’était pas gagné. Andrew, sexagénaire anglais, avait tout pour me déplaire, sérieux, âgé, homme d’affaires implacable, qui a laissé sa fille mettre un océan entre d’eux… C’est vraiment le type de personnage qui me fait tourner les talons. Mais non, très vite, ce portrait peu flatteur est oublié, et l’on découvre un homme meurtri, sensible, profondément gentil et soucieux des autres. Et que dire de Philippe et sa serviette qu’il noue autour de son cou, aux techniques de lecture inhabituelles, d’Odile et de son chat au palais de connaisseur, de la douce Manon, ou encore de Madame, qui cache bien des blessures derrière sa carapace ?

Les joutes verbales entre les personnages sont savoureuses, le choc des cultures entre Andrew, notre british et Philippe ou Odile sont aussi succulentes que la cuisine d’Odile, les jeux de mots sont drôles, les situations parfois complètement loufoques (l’épisode du vélo et de la poêle à frire va rester gravé dans mon cerveau !) mais jamais ridicules, et ce roman transpire de bons sentiments.

Parce que Complètement Cramé, c’est avant, tout des gens qui ont souffert, mais qui redécouvrent les autres. C’est finalement, avec une simplicité qu'il n'était pas aisé de maintenir, une belle leçon de vie qu’on nous donne… 

On devrait le prescrire contre la déprime, parce que tout au long de ma lecture, exit la grisaille de novembre, le soleil était entré dans la pièce.

vendredi 29 novembre 2013

L'éveil de mademoiselle Prim, Natalia Sanmartín Fenollera


Ref : 445 « Cherche esprit féminin détaché du monde. Capable d’exercer fonction de bibliothécaire pour un gentleman et ses livres. Pouvant cohabiter avec chiens et enfants. De préférence sans expérience professionnelle. Titulaires de diplômes d’enseignement supérieur s’abstenir. »

Las du monde moderne, de cette société de consommation en constante perte de repères et de valeurs, alors le village de Saint-Irénée d’Arnois est pour vous…

La communauté, qui elle-même a fui la vie citadine, a reconstitué une sorte d’Eden, dont le quotidien est fait de l’essence-même des choses. Quelle jolie peinture que celle de l’auteur de ce village qui nous fait faire, inconsciemment, un véritable bond dans le temps.

Petite confession, j’ai eu envie de le localiser sur une carte pour faire mes valises… Quelle bouffée d’oxygène que cette atmosphère accueillante, solidaire, chaleureuse autour d'un chocolat chaud... Tout y est tellement reposant... Le temps semble habité par une langueur salvatrice... Ici, tout le monde a quelque chose à apporter aux autres, un savoir à transmettre aux enfants. Tout le monde compte, fait partie de cette communauté. Ici, point de diplômes qui vaillent, de postes à hautes responsabilités. Non, ici, chaque personne est un élément important.

La langue est à la hauteur de ce village,  un retour vers la culture, la vraie culture, celle qu’on aime et pas celle qu’on nous impose. Cette même culture qui est un pilier de la formation de l’être, tant qu’on lui donne un sens…  Pari osé que celui d’utiliser un tel registre de langue (-je l'ai lu en VO, j'espère que la traduction sera fidèle à l'esprit du roman! -) et de tels concepts dans un roman moderne, mais pari réussi. Tout s’imbrique parfaitement, tout est naturel.

La seule ombre au tableau viendrait du personnage de Mlle Prim, qui, malgré tous mes efforts, ne m’a malheureusement pas touchée. Empreinte de cette rigidité du monde qu’elle fuit, ou d’une rigidité d’une autre époque, et là est le paradoxe, elle n’a jamais réussi à se débarrasser de cette image, et m’a semblé, à plus d’une reprise agaçante. Ses idées sont très arrêtées, et dans ce voyage initiatique vers ce retour aux choses, j’ai eu beaucoup de mal à percevoir son évolution. 

Même l’Homme au Fauteuil, son patron qui fera vibrer son cœur, homme cultivé, généreux, très croyant mais indélicat, m’a semblé beaucoup plus sympathique. 

Mais très sincèrement, je pense que ce n’est qu’un détail, parce que finalement, dans ce roman, ce ne sont pas les personnages qui priment paradoxalement, ce ne sont pas les sentiments amoureux -l’auteur prend d’ailleurs beaucoup de risques à ce sujet.  A travers Mlle Prim, c’est vers  un véritable retour vers ce que l’on est, vers des valeurs oubliées, "vers la vie entière, la beauté, l'amour, l'amitié, et même l'enfance, surtout l'enfance" qu’on nous guide, et ça, j’ai adoré… Dans ce roman, on vit, on aime, et c’est déjà beaucoup…

samedi 23 novembre 2013

A toi pour l'éternité, Daniel Glattauer



Par hasard, Judith rencontre Hànnes dans un supermarché. Quelques jours plus tard, il entre dans sa boutique de luminaires. Hànnes est architecte, il est craquant, le gendre dont rêve toute belle-mère.
Les amies de Judith tombent sous le charme. Mais pourquoi Judith n’arrive pas à se laisser aller et à profiter de cette occasion ?

Parler d’amour… C’est tellement simple et compliqué à la fois. Un « Je t’aime » est-il suffisant pour l’autre ? Ces mots sont-ils sincères ? Veulent-ils dire la même chose pour l’un et l’autre ? Cette main qui l’on pose sur la cuisse de l’élu(e) est-elle une caresse ou une prison que l’on érige peu à peu pour l’empêcher de s’échapper, de respirer ? Il y a tellement de mots cachés derrière cette déclaration qui fait vibrer plus d’un cœur, « à toi pour l’éternité ».

Tant de questions finalement autour de l’amour, autour de ce qui est dit, autour des actes… Et c’est ainsi que se construit le roman de Daniel Glattauer, en nous plongeant au cœur de la relation de Hannes et Judith.

Tout est tellement beau, de la rencontre aux premiers émois, et puis doucement, l’on glisse vers cette descente aux enfers de l’intime, ce questionnement… Qui est-il ? Est-il sincère ? 

Et la surprise, la chute… Malgré le malaise grandissant, lié à l’amour, je ne m’attendais pas à cela. L’écriture ne tombe pas dans la mièvrerie, et est d’une efficacité redoutable, des dialogues insérés dans le récit du début, au billet final. Ce n’est pas une histoire d’amour classique. Les héros ne sont pas les personnages, c’est l’amour, mais pas dans sa forme habituelle. 

Peu de mots pour cette chronique, mais je ne veux rien vous dévoiler.

Pensez juste que derrière ces mots, derrière ce « Je t’aime », derrière ce « A toi pour l’éternité », il y a beaucoup d’autres mots, de pensées, de situations, et que ce roman, psychologique, introspectif,  d’une intelligence aigüe, qui explore les confins de l’amour, m’a donné envie de plonger encore plus dans l’univers de Daniel Glattauer.

jeudi 21 novembre 2013

Chroniques de MacKayla Lane, Tome 5 : Fièvre d'ombres, Karen Marie Moning



« RIEN N'EST AU DELA DE MES CAPACITES. JE SUIS TOUT.
 Vous êtes un livre. Des pages avec une reliure. Vous n'êtes pas né. Vous ne
vivez pas.
JE NE CONNAIS PAS LA PEUR.
Que voulez-vous de moi ?
OUVRE LES YEUX. VOIS-MOI. VOIS-TOI.
Mes yeux sont ouverts. Je suis le bien. Vous êtes le mal. »
Conversation avec le Sinsar Dubh

On a tous, enfouie au fond de nous, une part d’obscurité, une part d’ombre animée par de sombres pensées, un animal tapi qui ne demande qu’à sortir, un lac aux eaux épaisses dans lequel on aimerait plonger la main pour arracher la solution à tous nos problèmes. Car finalement, qui sommes-nous ? Sommes-nous vraiment ce que nous prétendons être ? Pas tout à fait, du moins jamais totalement, nous sommes ce que nous sommes, c’est tout… 

Mac est arrivée à un carrefour de sa vie, elle doit choisir quelle direction prendre, elle doit assumer ce qu’elle est.

Dans toute la première partie, c’est ce cheminement que nous suivons. Karen Marie Moning alterne habilement passages au passé et passages au présent pour nous immerger dans le cœur de Mac. Nous sommes elle… La page est tournée, les événements l’ont obligée à ouvrir les yeux, à reconsidérer les choses. C’est une survivante, une guerrière, et elle ne subira plus.

Quelle première partie… Malgré quelques longueurs, elle distille un sentiment de malaise oppressant, qui va de pair avec ce que ressent Mac. Mais qui est Mac ? Je ne la reconnais pas… Où est passée la Mac Arc-en-ciel ?

Et puis, tout s’accélère. L’heure n’est plus aux doutes, sa décision est prise. 

Et les presque 900 pages défilent à la vitesse de la lumière, succession de volte-face, de bouleversements, de surprises, de combats, mais aussi de scènes tendres. 

Ce qui est noir l’est-il vraiment ? Et la lumière est-elle lumière ?

Une vraie réussite que ce tome qui clôt cette saga en apothéose. Les questions soulevées dans les tomes précédents trouvent leur réponse. Mon cœur a frémi, tressailli. J’ai aimé, j’ai détesté, j’ai aimé détester…

Mais c’est déjà fini. Bon sang, c’est fini…


dimanche 17 novembre 2013

Le divin enfer de Gabriel, Tome 2 : « L'extase », Sylvain Reynard



Gabriel Emerson, le ténébreux professeur spécialiste de Dante, entretient une liaison interdite avec son étudiante, Julia Mitchell. Afin de l’éveiller à la sensualité et de la mener à l’extase des corps, il n’hésite pas à l’enlever pour une virée romantique au cœur de l’Italie. Mais lorsque les amants reviennent de leur tumultueux voyage, leur ravissement vole en éclats : ils sont confrontés aux jugements sévères des enseignants de l’université, aux conspirations de certains étudiants, mais aussi à la jalousie obsessionnelle d’une ancienne maîtresse. Gabriel doit désormais rendre des comptes. Subira-t-il le même sort que Dante, déchu du paradis ? À moins qu’il ne trouve en Julia les voies de la rédemption…

J’ai beaucoup tardé avant de faire cette chronique, pour ne pas dire que j’ai retardé l’échéance, tant la crainte d’être injuste était forte.

J’avais littéralement été habitée par la lecture du tome 1, et fait suffisamment inhabituel chez moi pour le mentionner, j’avais précommandé le tome 2, ne résistant pas à l’impatience de le tenir entre mes mains, de retrouver Julia et Gabriel, de renouer avec la vague d’émotions qui m’avait emportée lors de la lecture du tome 1. 

Malheureusement, dès le début du premier chapitre, j’ai su que je serai déçue. Je ne parvenais pas à rentrer dedans comme je l’avais fait pour le premier. Cela allait même plus loin, dès les premières pages, -le roman commence là où s’est arrêté le premier, juste après cette nuit passée ensemble-, les défauts du tempérament de  Julia, ceux-là même qui m’avaient légèrement agacée dans le premier tome, me sautaient aux yeux. 

Pour tout dire, je l’ai même reposé, en me disant que c’était encore cette histoire de moment, que, comme ce n’est pas mon habitude de me jeter sur un ouvrage dès sa sortie, je n’avais peut-être pas besoin de romance à ce moment précis, etc.

Quelques jours ont passé, et j’ai décidé de faire abstraction de cette première mauvaise impression, c’était quand même l’histoire de Julia et Gabriel… Force est de constater que mon sentiment final correspond à celui éprouvé dans les premières pages, je suis déçue.

Mon jugement est sans doute un peu dur si j’en crois les critiques dithyrambiques qui naissent sur le web, mais que voulez-vous, j’avais tellement apprécié la lecture du tome 1…  Cette belle histoire d’amour, anachronique d’ailleurs, teintée de touches érudites, m’avait tellement transportée… J’oserais une comparaison facile, celle d’un amour qui vous bouleverse. C’est en quelque sorte cette relation que j’avais établie avec ce tome 1.  Et je me suis sentie trahie lors de la lecture de ce deuxième tome, je n’avais pas retrouvé cet amant -le tome 1- qui m’avait fait ressentir une telle palette d’émotions. 

L’histoire d’amour est toujours très belle, et le personnage de Gabriel, sorte d’anti-héros de romance, hanté par des démons profonds, porte le roman à lui seul. C’est sa rédemption qu’on nous narre, ce pardon des erreurs et des actes commis dans le passé. Et c’est là que le bât blesse.

Dans le tome 1, sa rédemption prenait la voie tracée par son histoire avec Julia, jeune femme blessée, aux convictions fortes (et parfois très énervantes), véritable lumière dans son monde de ténèbres. Leur histoire, effet-miroir de l’histoire de Dante et Béatrice, avait des relents de l’amour courtois qui n’étaient pas pour me déplaire.

Dans ce tome, nous suivons évidemment encore ce cheminement vers cette fameuse rédemption, avec toujours Dante en toile de fond, mais j’ai eu le sentiment que cette Divine Comédie qui semblait naturelle dans le tome 1 –cet effet-miroir-, était très artificielle dans le 2, pour ne pas dire longuette par moments. 

Et s’il n’y avait eu que Dante… Mais Saint François d’Assise est, lui-aussi, de la partie vers cette rédemption, et avec lui évidemment, la religion. Et mon âme romantique qui se réjouissait de voir la rédemption via l’amour s’est insurgée de voir cette rédemption via l’amour ET la religion. Ce n’est pas une aberration dans la logique de l’auteur,  cela peut même se justifier si l’on suit les schémas de constructions –bien trop évidents- de ses personnages, mais pour moi c’était tomber dans des clichés maladroits.

Malgré tout, j’ai fini cette lecture, sans peine. Mais il me reste cette saveur aigre de la déception dans la bouche, parce que je n’ai pas retrouvé ce qui m’avait absorbée dans le tome 1.

Mais n'était-ce pas mission impossible?