«
Le jour où mon père a débarqué avec son sourire conquérant et la
Renault GTS, j'ai fait la gueule. Mais j'ai ravalé ma grimace comme
on cache à ses parents l'odeur de sa première clope. J'ai dit «
ouais », j'ai dit « super », la mort dans l'âme, même si j'avais
compris que la GTS pour la GTX, c'était déjà le cinquième grand
renoncement, après la petite souris, les cloches de Pâques, le Père
Noël, Mathilde, la plus jolie fille de la maternelle, et ma carrière
de footballeur professionnel. »
La
mémoire est une petite chose étrange et fragile. Un fil ténu qui
vous lie à votre histoire. Le temps est son pire ennemi, mais aussi,
parfois, son meilleur allié. Un petit rien, un bruit, une odeur, une
couleur, un geste, un mot, peut ouvrir le tiroir dans lequel nous
pensions avoir remisés nos souvenirs. Ce tiroir dont la clé avait
disparu. Un sourire, un parfum, un texte peut libérer autant
d'instantanés que nous croyions oubliés à jamais.
Bouleversante,
émouvante... et même terrifiante mémoire.
Nicolas
Delesalle suit le vol de sa mémoire, et nous offre ces clichés de
vie qu'une autoroute ou un vieux saule vont réveiller. Un voyage
scolaire, un premier baiser, un chien auquel on dit au-revoir... Une
véritable plongée dans son histoire, portée par une langue simple
et efficace.
Une
véritable plongée dans mon histoire, portée par ma mémoire
alanguie qui s'étire lentement, et s'envole enfin.
L'orgueil
de mon père devant l'arrivée de la R25 nouvellement acquise.
D'occasion, bien sûr. Maman ne voulait pas de voitures neuves, même
si c'était une voiture française. Mon père rêvait de voitures
allemandes, mais jamais il ne céda à cette tentation. « C'est
ta mère tu comprends, elle va rouspéter ». Et le vendeur au
physique flou de me dire le jour où la R25 se gara dans la cour,
« Dans celle-ci tu ne seras pas malade ». Ma confiance
d'enfant en ces mots. Je bus littéralement ses paroles. Finis les
maux de cœur, j'allais enfin pouvoir compter le nombre
de voitures rouges qui nous croiseraient. La R18, bourreau de mes
trajets était derrière nous, bienvenue à cette R25 qui faisait la
fierté de mon père. Bleu marine, comme la voiture du président.
Non, je n'ai plus jamais été malade en voiture. Merci belle R25 de
m'avoir libérée. Et merci Papa d'avoir arrêté de fumer pendant
les trajets.
La
mort d'Uno, petit spitz de 7 ans, dans mes bras. J'avais le même
âge, nous avions grandi ensemble. Maman me racontait que bébé, il
rongeait le filet de mon parc pour venir me rejoindre et me dérober
mes jouets. Mon premier contact avec la Faucheuse. Ma mère qui se
précipite pour me décharger de ce petit corps. Ainsi va la vie.
L'inquiétude sur son visage. "Mais pourquoi maman ?" C'est la
vie... Quelques jours après, la porte de ma chambre s'est ouverte,
la même que j'occupais juste en face de celle de mes parents. Ma
mère a soulevé doucement le drap de mon lit pour y déposer cette
petite plume si douce. "Aisane". Caniche Abricot. Toy, s'il vous plait.
Maman y tenait. Aisane pleura, pleura, et pleura à n'en plus finir,pendant cette première
nuit. Je la libérai de son calvaire en l'envoyant dormir avec
mes parents. J'avais sonné le glas de notre relation, elle ne quitta
plus ma mère.
Mon
frère et nos cousins. Les rares parties de cache-cache. L'idée
géniale de mon frère: m'enfermer dans un sac de sport. Pas si
géniale que ça. Je suis claustrophobe, mais c'était mon grand
frère, celui que j'adorais. Celui qui me fit pleurer de joie en
venant me chercher, pour une journée, à la station de ski qui
abritait ma classe pour un voyage scolaire. Je lui cachais mes larmes
dans la voiture pendant le trajet en faisait mine de dormir. Il n'a
jamais su le bonheur que j'avais ressenti. Je l’idolâtrais. Il est venu me chercher, lui, mon
grand-frère qui vivait en Haute Savoie. Mes amis étaient tellement
envieux. Mon frère que j'aime toujours autant malgré la distance.
Oui,
pas une super idée que ce sac quand on est claustrophobe. Cette même
claustrophobie qui se réveilla pendant un autre séjour à la
montagne, avec mes parents cette fois. Ma joie de dormir sur le lit
superposé du haut. Et mon incapacité à respirer. L'envie de
repousser le plafond. Le besoin de pousser ce fichu plafond. Mes
mains contre ce blanc jaunâtre. Sa résistance. Victoire par KO. A
partir de ce moment là, je fis le deuil des espace restreints.
La
mémoire est décidément une petite chose bien étrange, et tous les
récits de Nicolas Delesalle, sa plume simple, mais travaillée ont
conversé avec la mienne. Moi aussi, j'ai cherché des cèpes, avec
mon père. Ainsi que des girolles. Je continue de le faire, seule la plupart
du temps. Mon père n'est plus là, mais il m'accompagne encore. Le
sol est plus humide, là, c'est un sol à champignons. Il y a des
fougères, allons-y, les girolles aiment les fougères. Oh, des
marronniers et des chênes. Ouvre bien les yeux, ce cèpe a forcément
son petit frère pas loin.
Mon
père, cet homme avare de mots. Je voulais tellement l'impressionner.
J'aimais ma mère. Oh oui, j'aimais ma mère. Mais mon père, c'était
différent. Je voulais qu'il soit fier de moi. Une maman ça l'est
forcément. Et mon père avait tellement l'air sévère. Il devait
être fier de moi. Et il l'a été. Ses larmes lors des résultats du
bac. Mais aussi sa colère parce que je ne le fêtais pas avec eux.
Mon père, cet homme de peu de mots. Si entier et si généreux. Ce
fils de Boche marqué par l'Histoire. Cet homme fort, aussi fragile
qu'un enfant.
Et
ce défi que je lui lançais. Je devais avoir huit ans. Il me
semblait si vieux. Quand on a moins de huit ans, tous ceux qui ont
plus de trente ans semblent décatis. "Je cours plus vite que toi".
J'ai couru, vite, très vite dans ce chemin de terre. J'ai couru à
en perdre haleine. J'ai couru à m'en arracher le cœur. Mais j'ai
perdu. Ce jour-là, mon regard changea. Mon père n'était pas si
vieux finalement. Mon regard changea, mais je ne lui dis rien. Nous
avions le même orgueil.
Ce dernier regard échangé avec lui, plus de vingt ans après. J'ai peur papa, je t'aime tellement. Je t'aime aussi ma fille. J'ai peur aussi... Mais nous n'avons rien dit. Ce dernier regard échangé, je savais que ça allait être le dernier. Il est gravé en moi.
Oui,
le récit de Nicolas Delesalle m'a transportée. La justesse de ses
mots, de ses émotions ont trouvé un écho en moi. Je suis nostalgique ce soir. La dernière
page est tournée. Le tiroir est ouvert. Les souvenirs ont jailli.
Vous
me manquez tellement.
Merci
M. Delesalle pour ce beau cadeau... Merci infiniment à Pierre Krause et à la Masse Critique Babelio qui m'ont permis de faire une
belle rencontre. Une de mes plus belles lectures de l'année.
Joli billet !
RépondreSupprimerMerci beaucoup!
SupprimerOuaaah après une telle chronique, aussi élogieuse, je ne peux que vouloir le lire aussi :) !
RépondreSupprimerUne très belle lecture, vraiment...
Supprimerc'est malin ça, en finissant ta chronique je suis pleine de larmes. Comme quoi ce livre t'a ému, mais tu m'a encore plus touchée je pense. Tu penses à mon maquillage ?
RépondreSupprimerOups, désolée pour le maquillage! Merci beaucoup pour le compliment, ça me touche beaucoup...
SupprimerOh, le rendu de ta rencontre avec ce roman est très émouvante. J'espère que l'auteur la verra et la lira, car il saura ainsi à quel point sa plume a marqué une lectrice.
RépondreSupprimerC'est un superbe retour que tu as rédigé.
Mhhh, quelques mouchoirs ont dû être sacrifiés, non ?...
Merci beaucoup...oui, quelques mouchoirs sont passés à trépas, même pendant ma lecture. Mais je suis une grande sensible !
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