"Le
temps : tout était là, dans ces cinq lettres, cette simple syllabe.
J'allais soudain en être riche, ne plus courir après, le nez rivé
sur l'ordinateur, le téléphone. Pendant neuf jours, j'allais
devenir un milliardaire du temps, plonger mes mains dans des coffres
bourrés de secondes, me parer de bijoux ciselés dans des minutes
pures, vierges de tout objectif, de toute attente, de toute angoisse.
J'allais me gaver d'heures vides, creuses, la grande bouffe, la
vacance, entre ciel et mer."
De
l'inaccessible Tombouctou à la mélancolique Tallinn, entre une
partie d'échecs fatale quelque part dans un hôtel russe et un
barbecue incongru à Kaboul, des clameurs de la place Tahrir au fond
d'un trou, dans l'Aveyron... C'est le roman d'une vie et de notre
monde que raconte Nicolas Delesalle, le temps d'une croisière en
cargo.
En
général, lorsqu'on songe à une croisière, ce n'est pas l'image du
cargo replet de conteneurs qui nous vient à l'esprit. Non, ce serait
plutôt le paquebot grand luxe avec sa piscine sur le pont, ses joyeux
animateurs et son brouhaha étourdissant. Pas l'idéal pour nous
retrouver face à notre reflet, pour prendre le temps de la réflexion. Il ne me serait d'ailleurs jamais venu à l'idée
de partir en voyage sur un cargo, cruelle erreur de ma part, parce que ce type de périple me conviendrait bien plus
qu'une croisière classique. Avoir le luxe de voir défiler les secondes, le luxe de pouvoir se remémorer, le luxe de savourer les choses infimes, les rencontres, tout ce que le tumulte de la vie ne permet pas.
J'ai
donc embarqué avec Nicolas Delesalle sur le cargo MSC
Cordoba, « petit » porte conteneurs de juste 1269 boîtes
hermétiquement fermées dont l'équipage bigarré ignore tout du
contenu. Sa mission, amener sa cargaison à bon port, vivre la mer, la cohabitation avec les diverses nationalités et attendre avant de rentrer chez soi. Rien de plus. Mais tout cela malgré tout.
Au
gré des flots, de ces voix qui s'élèvent sur le pont, dans la
soute, de ces échanges avec des personnalités improbables, l'auteur va plonger dans son propre esprit pour ouvrir les
conteneurs de sa mémoire.
L'image
est belle, et ô combien vraie. Et c'est ainsi que, suivant le fil de
ces boîtes que l'on ouvre, Nicolas Delesalle nous entraîne, dans ces
courts récits qui ressemblent à des nouvelles, dans son vécu de
journaliste. La plume est sûre, le mot est juste et l'émotion
omniprésente.
Armé d'un humour qui évite tout pathos, l'auteur
se remémore tantôt certains aspects marquants de son expérience,
tantôt des anecdotes qui lui ont été racontées. Le regard est
lucide sur les drames humanitaires, politiques qui l'ont envoyé
fouler de sol de la Côte d'Ivoire, de l'Ukraine ou de la Syrie et laisse au lecteur entrevoir ce qu'il veut y voir. Je suis convaincue que ce que j'ai entraperçu pendant la partie d'échecs ne sera pas la même chose que ce qu'aura vu un autre lecteur. Et nos deux lectures seront complémentaires, tout simplement parce qu'elles seront portées par les émotions ressenties.
Ce n'est pas un pamphlet politisé, un de plus, qui
s'offusquerait de la pauvreté ou de la violence. C'est le regard
d'un homme, profondément humain, qui se rend compte qu'il n'est que
bien peu de choses face à un monde en branle, où la politique, le
journalisme si rapide avec les nouvelles technologies, oublient
parfois que derrière les drames, ils y a des hommes que la misère
frappe de plein fouet.
J'avais
déjà eu un aperçu du talent de Nicolas Delesalle dans Un parfum d'herbe coupée que
j'avais adoré, et ce talent se confirme après cette lecture. J'ai
suivi le fil d'Ariane des conteneurs avec un plaisir infini, chaque
chapitre refermé en appelait un autre, différent, mais tout aussi
intimiste. Les mots sont simples, sans fioriture, mais font mouche.
C'est
décidément un auteur que je vais suivre...
Je pense que je suis trop jeune pour ce genre de livre, plus tard peut-être...
RépondreSupprimerJe pense que pour ce type de livre, ce n'est pas une question d'âge. L'écriture est simple, mais efficace, le sujet universel. Du bon contemporain.
SupprimerCa fait longtemps qu'il faut que je découvre cet auteur, et je ne l'ai toujours pas fait !
RépondreSupprimerSi tu en as l'occasion, n'hésite pas!
SupprimerJe n'ai pas tellement le pied marin, mais je pourrais faire une petite exception pour ce roman, si l'occasion de m'y embarquer se présente ! Merci :)
RépondreSupprimerSi tu peux embarquer dans ce périple, fais-le. Je n'ai pas le pied marin non plus, mais j'ai adoré le voyage!
SupprimerLe résumé et ton avis m'ont convaincu : je vais lire ce roman!!
RépondreSupprimerJ'espère qu'il te plaira!
SupprimerCoucou Céline :D
RépondreSupprimerDéjà le titre me donne envie de découvrir ce roman...
"l'auteur va plonger dans son propre esprit pour ouvrir les conteneurs de sa mémoire" - j'adore!
J'ai vraiment envie de ce livre <3
Quel super billet!
Bisous
J'aime vraiment beaucoup ce que fait cet auteur, il a le don de toucher le coeur, de renvoyer vers notre intime.
SupprimerJ'ai un peu du mal avec les romans contemporains mais je dois dire que ta chronique intrigue. Tu me fais toujours découvrir des romans que je n'aurai jamais découvert par moi-même :)
RépondreSupprimerAvec les romans contemporains, c'est souvent à Pile ou face. Pour moi, cet auteur est une valeur sûre!
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