jeudi 28 avril 2016

Certaines n'avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka

Ces Japonaises ont tout abandonné au début du XXe siècle pour épouser aux États-Unis, sur la foi d'un portrait, un inconnu. Celui dont elles ont tant rêvé, qui va tant les décevoir. Chœur vibrant, leurs voix s'élèvent pour raconter l'exil : la nuit de noces, les journées aux champs, la langue revêche, l'humiliation, les joies aussi. Puis le silence de la guerre. Et l'oubli.

J'avais beaucoup entendu parler de ce roman, mais, et c'est là quelque chose de paradoxal, j'étais incapable de dire de quoi il parlait exactement. Je croyais me souvenir qu'il avait trait à l'Asie, mais c'était flou, très flou... Son peu de pages m'a encouragée à me plonger dedans, mais j'étais loin d'imaginer que ça allait être une telle claque littéraire.

Certaines n'avaient jamais vu la mer évoque effectivement l'Asie, le Japon plus précieusement. Enfin pour être encore plus précise, le récit s'attarde sur l'émigration japonaise aux Etats-Unis.

Ces centaines de femmes, chargées de leur histoire, de leur culture, embarquent pour ce qu'elles pensent être le paradis. Leurs futurs maris les attendent sur la terre de tous les possibles et elles grimpent sur le bateau le coeur battant. Leur mari est beau, il est riche. Il leur a d'ailleurs envoyé une photo.

– Regarde, c'est celui-là, vois comme il a fière allure !
– Il a l'air petit, non ?
– Tu crois ?
– On ne voit pas bien, il est assis. Mais même s'il est petit, ce n'est pas grave, il a un beau costume et un visage plein de caractère. Et il a un bon travail.
– Ah bon ?
– Mais oui, regarde sa lettre. Tu as vu comme il écrit bien ? Il est négociant.

L'enthousiasme les porte. La peur aussi. L'illusion. La crainte de l'inconnu. Certaines n'arrivent pas à se réjouir. Elles sont tombées amoureuses pendant la traversée. Leur kimono et leurs petits pas ont séduit un marin qui leur promet amour éternel. Qui ne durera que le temps d'un océan.

Et puis le bateau arrive au port, la réalité les rattrape. Adieu bel amour, bonjour vieux mari qui ne correspond pas du tout au portrait qu'elles avaient reçu.

Le récit suit le destin de ces femmes parties à l'aveugle. Elles n'ont pas de nom, elles ont tous les noms. Il ne s'attarde sur aucune en particulier. Elles sont multitude, les visages se superposent.

Certaines vont trouver l'amour, d'autre ne rencontreront que la désillusion, la résignation. Elles travailleront dur, parfois en silence, parfois en criant, Elles auront des enfants, qui s’éloigneront de leur pas et adopteront d'autres noms. Et parce qu'il en est toujours ainsi, la réalité les rattrapera une fois de plus sous la forme de la guerre. 

De nouveau la peur, l'angoisse. L'absence, le vide.


Inutile de dire combien j'ai aimé ce récit. C'est un roman qui restera dans ma mémoire, dans mon coeur, dans mes tripes. Ces femmes m'ont touchée, m'ont émue, les mots m'ont bercée. Ils sont empreints d'une certaine poésie, ces répétitions, ce faux rythme qui se crée parfois, et sans m'en rendre compte, j'ai dévoré les paragraphes les uns après les autres. Et à la fin, n'est resté que le vide. Celui d'avoir lu le dernier mot, d'avoir tourné la dernière page, d'avoir dû dire au revoir, adieu, merci, à ces femmes. 

23 commentaires:

  1. Comme toi, tout ce que je savais de ce livre avant de lire ta chronique est qu'il parlait du japon. Maintenant, j'ai envie de découvrir cette histoire. Sacrez-toi, mon banquier va te détesté! Merci pour ta chronique.

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    1. Ton banquier est super copain avec le mien! Il va falloir qu'on se méfie, ils vont finir par nous couper les vivres! :)

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  2. Quelle belle critique ! Beaucoup d'émotions...

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  3. J'avoue avoir été beaucoup moins sensible que toi à ce roman! Je pense que c'est surtout dû au fait que j'ai eu du mal avec ce style et cette anonymisation des personnages même si c'est très bien mené et que ça sert à merveille le message que l'auteure a voulu faire passer...

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    1. C'est un pari risqué que cet anonymat. On peut y rester hermétique effectivement.

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  4. Depuis le temps que je veux le lire, tu me donnes encore plus envie de me le procurer! :)

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  5. je ne lis pas énormément de romans en asie mais c'est intéressant

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  6. Je l'avais lu et beaucoup aimé !

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  7. J'avais lu ce roman à sa sortie et j'en garde un GRAND souvenir de lecture... <3
    Quel beau livre, touchant et plein d'émotions, on ne peut que ressentir de l'empathie pour ces femmes venues d'ailleurs qui voient leurs rêves se briser en mille morceaux...
    Bisous

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    1. C'est exactement ça: un grand moment de lecture. J'ai ressenti comme toi beaucoup d'empathie pour ces femmes...

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  8. Ca fait des années qu'il est dans ma WL, et je n'ai toujours pas sautée le pas...

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  9. Rien que de te lire, je sais déjà que ce récit me comblera ! J'en avais fait l'acquisition, il y a quelque temps, et puis voilà… Il est resté sur mes étagères ^^
    Hop, je le sors et le mets bien en évidence, pour ne plus me laisser patienter davantage, merci :)

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    1. Sors-le de tes étagères! C'est un roman très particulier, atypique mais qui m'a beaucoup touchée...

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  10. J'ai toujours un peu de mal à me plonger dans les romans asiatique et pourtant c'est un pays qui me fascine. Je tenterai peut-être ^^

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    1. C'est un récit un peu particulier, pas forcément un roman sur l'Asie étant donné qu'il traite l'immigration japonaise vers les Etats-Unis, mais j'ai vraiment beaucoup aimé.

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  11. oh celui ci aussi m'a pris "aux tripes" il y a déjà quelques temps mais je me souviens de cette baffe que j'ai pris alors !!!! oh je sens que je vais venir faire un tour chez toi de temps en temps ....

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    1. Une jolie claque littéraire pour ma part, j'ai vraiment adoré! Merci de ton passage!

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  12. Encore un sujet mal connu (d'autant plus qu'il est devenu tabou pendant la seconde guerre mondiale) qui a l'air d'être superbement abordé. Certaines femmes ont dû vivre un vrai calvaire... le pire étant que ce type d'immigration persiste de nos jours (partir avec rien d'autre qu'une promesse de mariage avec un parfait inconnu), ça fait froid dans le dos.

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    1. Ce roman est magnifique, il est vraiment très, très abouti. Et vraiment, comme tu le dis, le sujet fait froid dans le dos...

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