Lucie
Scalbert était la plus belle fille du lycée. Avec un je ne sais
quoi de dingue dans le regard. Je n’ai pas été surprise qu’elle
devienne comédienne, je l’ai perdue de vue alors que le succès
semblait l’attendre. Voilà que je la retrouve cinq ans plus tard.
Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle a abandonné sa
carrière, elle prononce le nom de VDA, son mari, avec un mélange
d’effroi et de rancœur. Ce vieillissement précoce, cette voix
enfantine, ce rire désespéré : je comprends que c’est cela, une
relation d’emprise.
Ce
qui fascine une romancière, en l’occurrence, Mina Liéger, mon
double fictionnel, c’est ce lien étrangement raisonnable qui unit
une femme à un homme qui la rend folle. À mesure que je
reconstituais l’histoire de Lucie Scalbert, il devenait évident
que ce lien relevait moins de la psychologie que de la possession :
une force mettait Lucie à la merci des hommes dont elle tombait
amoureuse. Ce rapport destructeur produisait chez ceux qui en étaient
témoins un sentiment de déjà-vu, comme si nous en reconnaissions
l'empreinte dans nos faux-semblants et nos secrets de famille, et
jusque dans les événements qui bouleversaient nos vies. L'emprise
de VDA sur Lucie obéissait à des lois trompeuses, cruelles et
romanesques qui tissaient la toile dans laquelle nous étions pris.
Si
l'on devait matérialiser la vie, un long fil serait une image assez
juste. Il serait ponctué de nœuds, plus ou moins serrés, plus ou
moins rapprochés symbolisant les obstacles que l'on a rencontrés.
Le fil de la vie de Lucie serait jalonné de montagnes de nœuds. Une
mère difficile, l'envie de plaire, et puis VDA. Ce serait le plus
gros, celui à cause duquel le fil pourrait se rompre.
Le
roman d'Isabelle Sorrente commence comme tous les romans. On pourrait
même imaginer un début à la « Il était une fois ». Il
était une fois deux enfants, séparées par quelques années, qui se
lièrent d'amitié. L'une avait la beauté d'un elfe et des cheveux
de lumière, l'autre l'intelligence d'un ange. Ce pourrait être
un bon début. Mais comme dans toutes les histoires de ce genre, il y
a un méchant. Un très grand méchant. VDA.
Parce
que finalement, si les contes ont un fond de vérité, il en va de
même pour cette histoire. Ces nœuds qui peuvent rompre le fil, tout
le monde peut les rencontrer.
Mina
et Lucie sont amies d'enfance. Lucie a tout pour être heureuse, en
apparence. Les apparences sont essentielles, elles empêchent de voir
ce qui est fêlé. Et la vie de Lucie est fêlée. Derrière sa
chevelure éclatante se cache une faille profonde : cette envie
démesurée de plaire. Plaire à sa mère qui ne la pense pas assez
intelligente, plaire à ses camarades qui la regardent bizarrement.
Mina, quant à elle, a l'intelligence, mais elle a du mal à trouver
sa place. Elles se rencontrent, une amitié naît. Mais le fleuve de la
vie est sinueux et les sépare.
Les
années passent, elles se construisent, dans la distance. Des retrouvailles et rien n'a changé. Ou plutôt tout a changé. L'éclat
de Lucie s'est terni, sa chevelure s'est éclaircie. Elle est mariée
désormais à un homme à qui tout réussit. Vincent-Dominique
Arnaud. VDA. Il est fou amoureux d'elle. Du moins, tant qu'elle
reste sous son joug. VDA est un méchant de la pire espèce, c'est un
manipulateur, passé maître dans l'art de la violence
psychologique.
C'est
une histoire effrayante que nous livre l'auteure.
Ce
récit dense se construit progressivement, lentement, comme la vie.
De longues pages s'égrainent sans dialogues, et quand ces derniers arrivent,
ils n'apportent pas la libération désirée. Les mots ne peuvent pas
libérer, ils sont oppressants, comme ce fil de la vie qui s'enroule
autour du cou de Lucie et qui serre, qui serre...
On
a beau se protéger derrière la cuirasse de la fiction, se dire que
cela ne nous arriverait jamais, on sait très bien que l'on se ment.
Parfois, nos routes croisent celle de la mauvaise personne, et en
sortir indemne est impossible. La seule issue est s'en sortir tout
court.
L'écriture
de l'auteure m'a fascinée. Cette distance prise avec les faits grâce
à Mina à travers laquelle nous vivons le récit n'a pas empêché la répulsion envers VDA d'éclater. L'exaspération vis-à-vis de la Lucie
des premières pages a fait place à une compassion qui m'a étreint
le cœur. Cette lente descente aux enfers, presque méthodique m'a
fait serrer les poings. L'horreur n'arrive pas d'un coup, elle se
prépare.
Isabelle
Sorente nous livre un roman d'une force incroyable, un roman
marquant, de ceux dont on se souvient encore des années durant. Ces
pages poussent à la réflexion. On peut tous être des victimes, et
démêler les nœuds du fil de la vie s'avère être une tâche bien
plus ardue qu'il n'y paraît.
Merci
aux Editions JC Lattès pour cette lecture !
Je ne connaissais pas du tout ce roman mais ta chronique me donne très envie. Je l'ajoute à ma PAL !
RépondreSupprimerC'est pour moi l'un des romans les plus marquants de la rentrée littéraire. Il est vraiment excellent.
SupprimerC'est un roman que je n'aurais jamais eu l'idée de lire si je n'avais pas lu ta chronique! Je prends note. Je ne lis pas souvent des publications de chez JC Lattès mais quand je le fais, je passe souvent un bon moment. Merci pour la découverte Céline! :)
RépondreSupprimerDe redécouvre cette maison d'édition, et honnêtement, j'y ai eu de très bonnes surprises!
SupprimerIl publie de bons auteurs français pourtant: l'auteur de La liste de mes envies (son nom m'échappe) et Delphine de Vigan. Mais c'est vrai que sortie des quelques auteurs que je connais, je ne me tourne pas vers un livre de leur maison d'édition instinctivement (C'est surement du à l’absence de jolies images sur la couverture. Je suis un peu blonde et superficiel)
SupprimerPs: Tu as vu que J'ai lu publie une autre austiennerie prochainement? Avec ou sans Mr Darcy il me semble!
Il me faisait déjà très envie et ta chronique me conforte dans mon choix ! J'ai bien fait de le demander, il me tarde de le lire ! :)
RépondreSupprimerHâte d'avoir ton ressenti alors!
SupprimerC'est toujours intéressant de trouver un livre comme ça, qui nous marque à ce point.
RépondreSupprimerC'est vraiment un très bon récit, qui ne laisse pas indifférent!
SupprimerTon billet est encore une fois impitoyable pour toutes nos bonnes résolutions du style ; être raisonnable ou juste essayer de le devenir ! Merci pour cette nouvelle découverte :)
RépondreSupprimerRaisonnable? Ce mot a été banni de mon dictionnaire personnel!!
SupprimerJe n’arrive pas à me souvenir où j’ai lu un article intéressant sur cette auteure dont je n’ai lu aucun roman encore. Si j’avais à débuter par une lecture ce serait celle-ci, tu m’en as donné le goût avec ton superbe billet. J’adore ton image du fil ponctué de nœuds qui peut se rompre et auquel personne ne peut se dire à l’abri. J’aimerais beaucoup, le temps d’une lecture, voyager dans l’âme de cette Lucie. C’est vrai qu’il est difficile de comprendre les liens qui unissent une femme à un homme manipulateur et violent psychologiquement. Après, ces femmes ont aussi leur histoire passée pour rendre compte du présent…
RépondreSupprimerUne histoire effrayante que j’ai très envie de lire.
Bonne journée à toi Céline
J'ai découvert cette auteur avec cette lecture, et ce fut un coup de coeur. C'est tellement facile de se dire qu'on y échapperait, que cela ne nous arriverait pas...
SupprimerElle dépeint d'une façon effrayante ce cercle vicieux, ce besoin viscéral que l'on a d'être aimé. Et ses conséquences si notre chemin croise la route de la mauvaise personne. Un petit bijou...
Je ne serais pas allée vers ce roman, mais je suis curieuse de ce que tu nous racontes. Je le note aussi !
RépondreSupprimerJ'ai adoré ce roman... Il me hante encore...
SupprimerOh la la celui-ci je le veux absolument! Je suis tombée sous le charme du résumé et de ta chronique :3 Merci Céline :3
RépondreSupprimerC'est un roman qui m'a marquée, j'y pense encore!
Supprimer