mercredi 10 juin 2015

Kinderzimmer, Valentine Goby

En 1944, le camp de concentration de Ravensbrück compte plus de quarante mille femmes. Sur ce lieu de destruction se trouve comme une anomalie, une impossibilité : la Kinderzimmer, une pièce dévolue aux nourrissons, un point de lumière dans les ténèbres. Dans cet effroyable présent une jeune femme survit, elle donne la vie, la perpétue malgré tout. Un roman virtuose écrit dans un présent permanent, quand l'Histoire n'a pas encore eu lieu, et qui rend compte du poids de l'ignorance dans nos trajectoires individuelles.

En refermant ce roman, je me suis rendu compte qu'un sentiment inhabituel m'avait envahie. Mal à l'aise. Je me sentais très mal à l'aise. L'avais-je aimé ? Je n'avais pas pu le reposer. Les pages m'avaient absorbée, elles avaient défilé tellement vite que la dernière page arrivée, j'étais déstabilisée. Déjà ? Mais l'ai-je aimé ? Je suis incapable de répondre à cette question. Parce que j'ai le sentiment que dire que je l'ai aimé va à l'encontre de cette histoire. Comment peux-ton aimer le malheur humain ? La déchéance ? Comment peut-on aimer Ravensbrück ?

Suzanne, dite Mila, est arrêtée en 1944 avec tout son réseau de résistance et est envoyée au camp de Ravensbrück. Elle n'est pas seule. En plus de ses compagnes d'infortune, elle porte en elle l'impossible dans un camp. Un enfant.

La lente descente aux enfers, l'incompréhension, cette langue qui nous échappe et qui ponctue le récit, la faim, la saleté, la maladie, la mort qui se rapproche, inexorable, celle qui nous guette tous, prête à fondre sur nous comme un vautour sur sa proie.

Les coups, l’humiliation, l'épuisement, le désespoir... Mila veut survivre, ultime réflexe de vie. Les femmes veulent survivre : la libération est proche. Les rumeurs courent dans le camp. Bientôt, dans pas longtemps, il faut tenir.

Et au milieu de tout cela, la Kinderzimmer, cette nurserie qui accueille des enfants qui deviennent bien trop tôt des vieillards. Cette nurserie appel à la vie, mais ode à la mort. Cette nurserie qui donne une raison de se battre, pour eux, pour ces nouveaux nés, pour James, le fils de Mila. Cette nurserie qui donne un sens à leur vie.

Au camp, l'espoir ne tient qu'à d'infimes choses : les repas, la musique, la neige, les rencontres qui vous aident à tenir, la solidarité entre prisonnières. 

En lisant les premières pages, les difficultés de Mila à comprendre cette langue, à apprendre les codes du camp, j'ai été ébranlée. Le présent de narration avait un côté dérangeant. Point de distance entre le récit et mon présent. Point de distance entre les personnages et moi. Le récit de Mila devenait mon présent. Il devenait mien. J'ai tremblé devant l'inhumanité des gardiennes qui préféraient nourrir les rats que les nouveaux nés, devant les sévices que devaient endurer les prisonnières, et comme toutes ces femmes, je me suis raccrochée à la vie. À Mila d'abord, puis à son petit James. L'âcreté de l’écriture m'a happée, m'a transportée, et m'a poussée à faire défiler les pages sans pouvoir m'arrêter. L'intimité de ce présent m'a donné honte, j'étais presque devenue une voyeuse en observant cette mère qui n'a plus de lait et qui presse son sein sec. Je ne me reconnaissais pas. Comme elles ne se reconnaissaient plus. 

Ai-je aimé ce roman ? Je ne sais toujours pas. Mais une chose est sûre, il a laissé une empreinte indélébile en moi. Pour moi un roman magistral.


24 commentaires:

  1. Je te conseille un goût de cannelle et d'espoir sur la guerre aussi.
    Et N'oublier jamais de Michel Bussi
    Je viens de me régaler avec ces 2 romans
    Bises

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    1. Merci pour les titres!! N'oublier Jamais est dans ma PAL, l'autre je ne le connaissais pas!

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  2. Ton avis est très émouvant, je me sens toute chose après sa lecture, si le livre est aussi intense en émotions que tes quelques lignes, je pense que je ne lirai pas tout de suite ce roman de peur moi aussi d'être envahi par un sentiment inhabituel et par la honte.
    Merci pour ce témoignage

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    1. Merci beaucoup pour ton commentaire. C'est un roman bouleversant.

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  3. Ah la la... Ce roman est sur ma WL depuis des mois! C'est sûr que le sujet n'est pas évident, mais il a tellement fait parlé de lui et puis, les critiques sont étant bonnes, je suis curieuse de le découvrir. Jolie chronique en tout cas!

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    1. Le sujet est très dur, mais traité avec une justesse bouleversante...

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  4. Ca a l'air d'etre une histoire intense mais c'st aussi le genre d'histoire mais m'intrigue beaucoup alors je suis curieuse.

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    1. Il est très "dur'" hein... Il faut bien choisir son moment de lecture!

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  5. Magistral… Le mot qu'il ne fallait pas que je lise !!! Ouille..., je ne peux plus faire comme si je n'étais pas au courant maintenant ^^ Il ne me reste plus qu'à le faire entrer par la grande porte de ma PAL, merci :)

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    1. C'est vraiment un roman qui marque, de ceux dont tu te souviens encore des années après...

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  6. Bon, ta dernière phrase me rassure! lol! Je l'ai depuis longtemps dans ma PAL mais je n'ai pas encore eu le courage de l'en sortir. Pourtant j'ai envie de le découvrir mais comme tu le dis le thème est si fort qu'il faut attendre le bon moment je pense ^^

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    1. Oh oui, avec ce roman, il faut vraiment choisir son moment...

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  7. Je l'ai vu à la bibliothèque, je vais l'emprunter. Certaines de mes collègues bénévoles le trouvaient trop dur mais j'ai envie de me faire mon propre avis. Merci pour ta chronique, tu viens de me rappeler un roman qui me tentait et que j'avais oublié.

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    1. Je comprends qu'elles l'aient trouvé trop dur, il est rude, c'est vrai. Mais sonne tellement juste...

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  8. Magistral est bien le mot qui convient !

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  9. Je vais aller y jeter un coup d'oeil!

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  10. Un livre qui a l'air effectivement très particulier et très éprouvant... Je le note dans un coin !

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  11. C'est un roman que j'ai très envie de découvrir...

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  12. Ce roman-là est dans ma liseuse depuis très longtemps. Genre début 2014... Je ne sais pas encore si j'aurai les tripes assez accrochées pour le lire.

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    1. Il faut être dans un bon état d'esprit pour le lire. Il est vraiment très intense.

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