mardi 26 juillet 2016

Prières pour celles qui furent volées, Jennifer Clement

Ladydi, quatorze ans, est née dans un monde où il ne fait pas bon être une fille. Dans les montagnes du Guerrero au Mexique, les femmes doivent apprendre à se débrouiller seules, car les hommes ont les uns après les autres quitté cette région pour une vie meilleure. Les barons de la drogue y règnent sans partage. Les mères déguisent leurs filles en garçons ou les enlaidissent pour leur éviter de tomber dans les griffes des cartels qui les "volent". Et lorsque les 4X4 patrouillent dans les villages, Ladydi et ses amies se cachent dans des trous creusés dans les arrière-cours, pareilles à des animaux qui détalent pour se mettre en sécurité. Alors que la mère de Ladydi attend en vain le retour de son mari, la jeune fille et ses amies rêvent à un avenir plein de promesses, qui ne serait pas uniquement affaire de survie. 

Quand on lit la presse ou qu'on écoute les médias, on se rend compte finalement que peu d'informations sur le Mexique parviennent jusqu'à nous. C'est un pays lointain, proche voisin du géant américain, avec de belles plages, des miss qui passent sous le bistouri de la chirurgie esthétique, c'est une terre d'émigration dont on ignore les raisons, la pauvreté sans doute, ah, et il y a les narcos aussi. Un portrait aux contours flous pour ce pays immense, un portrait à peine esquissé à cause de ses multiples visages. Trouver des constantes est une tâche ardue, mais s'il y en a une qu'on ne peut nier, c'est la violence, souvent en lien d'ailleurs avec ces fameux narcos qui contrôlent le quotidien.

Jennifer Clement fait le pari ambitieux de nous immerger dans l'état de Guerrero, celui-là même qui abrite Acapulco et ses plages paradisiaques, ce même Acapulco qui est une sorte d'état dans l'état, un monde à part que la plupart des habitants de Guerrero ne verront jamais.

C'est un portrait sans concessions qu'elle nous livre, sans fioritures, âpre, dur, froid comme la terre qui couvre le sol des maisons. Parce que dans l'état de Guerrero, il y a deux délits de naissance: celui d'être une femme et celui d'être belle. L'on prie pour avoir un garçon, même si l'on sait éperdument qu'il finira probablement par grossir les rangs des narcos, mais au moins il aura une chance, une toute petite chance. Alors qu'une fille... 

Une fille, c'est la rumeur qui court dans le vent pour arriver aux oreilles des tout-puissants, une fille c'est la peur de la voir enlevée, c'est la peur de la voir revenir sous la forme d'une ombre. Une fille c'est le trou qu'on creuse dans le sol pour la protéger quand les montagnes apportent le bruit des 4x4, une fille ce sont ces cheveux courts, cette peau que l'on tapisse de poussière, ces dents que l'on noircit. Il faut faire taire sa beauté, il faut la dissimuler, non, non, je n'ai pas eu de fille, un petit garçon, Monsieur, tout le monde le sait. Je vous promets, Monsieur, c'est un petit garçon...

Mais les voix portent par-delà les montages, elle surfent sur ce fichu vent, et ils savent. Ils viennent et repartent, emmenant avec eux le plus précieux des butins, votre fille.

Ladydi, María, Estafani et Paula font vivre ce récit. A travers la voix de Ladydi, apparaissent les peurs, les angoisses, la terreur, la tristesse, mais aussi l'amitié, la famille, les premiers émois, l'amour.
Il m'a fallu quelques chapitres pour m'immerger dans leur histoire. Si Ladydi est la voix qui narre, ses amies, sa mère sont très présentes et il y a beaucoup à assimiler dans les premières pages. Et puis la jungle a opéré et m'a fait prisonnière du drame que vit l'état de Guerrero. La langue qui m'avait semblé manquer de caractère dans ces premières pages a éclos, de façon telle d'ailleurs que j'en viens à me demander comment j'ai pu la trouver fade.

J'ai adoré ce portrait au vitriol d'une réalité souvent ignorée, derrière la fiction se cache le drame quotidien, la survie. Un roman à lire...


mercredi 20 juillet 2016

Le tendre baiser du tyrannosaure, Agnès Abécassis

Rassurez-vous, il n’y a pas de vrai tyrannosaure dans cette histoire.
Mais il y a Félix, un paléontologue peureux à qui sa grand-mère ordonne de quitter la femme avec laquelle il vit pour affronter ses pires angoisses. S’il y parvient, il aura droit à une immense surprise…
Et puis il y a Olive, sur le point de se marier, qui annonce à sa famille que son couple ne désire pas avoir d’enfant. Scandale, indignation et machinations de la mère et de la belle-mère !
On évoque Tom, aussi ? Un flic désabusé et terriblement romantique, trop sans doute pour la fille capricieuse qu’il va rencontrer.
Et n’oublions pas Ava, vendeuse d’escarpins de luxe, qui reçoit un jour d’une cliente millionnaire  un bijou hors de prix, et qui quitte illico cet emploi qu’elle déteste tant. Jusqu’à ce que son bijou disparaisse…
Des personnages qui forment une bande irrésistible et nous emportent dans un tourbillon de sentiments. Une comédie réjouissante, à dévorer d’urgence !

Je suis déçue, le titre nous promettait un tyrannosaure qui envoie des baisers et rien de tout cela dans ce petit roman. Enfin remarquez, s'il y avait eu un tyrannosaure envoyant des baisers, je me serais quelque peu inquiétée. Je veux bien que la fièvre Pokemon Go se soit abattue sur nous, mais quand même... Et je ne suis pas du style à lire des romans avec des dinosaures, pas vraiment mon genre. Des vampires, des loups-garou, à la rigueur, mais pas des dinosaures. Surtout que si on n'y réfléchit bien, je ne vois pas comment des vampires et des loups-garou pourraient rivaliser avec un tyrannosaure. Ou alors il leur faudrait des pouvoirs encore plus impressionnants que ceux qu'ils ont déjà, tels que... une épée qui tuerait uniquement des tyrannosaures... Une épée de Highlander même! Mais il y aurait un léger problème, car  qui dit épée de Highlander dit highlander, et logiquement, le highlander chevaucherait le tyrannosaure, alors il ne voudrait certainement pas l'occire. Sauf si la charmante bestiole est hors de contrôle parce qu'une vilaine sorcière lui a jeté un sort, et le highlander à la crinière flamboyante et au torse phénoménal (je suis sûre que vous savez à qui je pense!) sauverait dans ce cas le monde... Bon, par contre, si on veut de la véracité historique, il faudrait justifier la présence dudit animal. Et aussi sa fonction de monture. Sans parler des vampires et des loups-garous qui seraient les ennemis jurés du tyrannosaure. Melliane, je t'entends déjà me dire: "Des détails ça, des détails"...

Oups, je crois que je divague un peu (et non je n'ai pas pris trop le soleil, je vous vois venir!). Pardon, reprenons donc le fil de cette chronique.

Le tendre baiser du tyrannosaure est un livre qui fait du bien, de ces romans que l'on lit le coeur léger (sans doute parce qu'on sait qu'un tyrannosaure ne va pas jaillir de derrière une étagère d'ailleurs) et dans lesquels on se laisse facilement embarquer. La galerie des personnages est riche, il n'y a pas UN personnage principal mais plusieurs personnages principaux (Félix, Olive, Tom, Ava...), et si cela peut être déstabilisant dans un premier temps, cela prend finalement tout son sens.

Les différents chapitre s'attardent sur chacun d'entre eux, et si le lien n'est pas évident ensuite, il apparait clairement à la fin. Ces chapitres m'ont d'ailleurs fait penser à autant de scènes de théâtre, d'instants de vie ou l'humour croise le grave, ou l'amour flirte avec l'amitié, ou les bons mots et les émotions se mélangent à des situations qui n'auraient pas été forcément amusantes en temps normal.

J'ai eu un vrai coup de coeur pour Felix et sa grand-mère Lucrèce et j'ai regretté de ne pas les voir plus souvent, mais Tom est attachant et Ava et ses amies sont succulentes, Olive et son mari sont touchants même si je ne les envie pas d'avoir une telle famille.

Le tendre baiser du tyrannosaure est un roman idéal pour les périodes sombres, pour les périodes où on a besoin d'un livre auquel faire confiance, un livre qui nous prenne le coeur pour nous le rendre plus léger. C'était mon premier roman d'Agnès Abécassis et ça ne sera pas le dernier.


PS pour Melliane: tu vois, nos conversations m'inspirent!

lundi 18 juillet 2016

Sauvage, saga Thoughtless, S.C. Stephens

Griffin Hancock est le bassiste un peu bad boy des D-Bags, le groupe le plus chaud du moment.
Il a tout ce dont il rêve : une grande maison, une belle voiture, une magnifique famille. Malgré tout, cet homme sauvage et à l'ego surdimensionné en a assez d'être dans l'ombre de Kellan Kyle. Il estime être le meilleur et tout le monde devrait le savoir.
C'est pourquoi lorsqu'une opportunité se présentera, Griffin n'hésitera pas à la saisir. Le groupe n'est pas d'accord avec lui et il prend alors une décision radicale : il quitte Seattle avec sa famille pour retourner à L.A. pour y faire carrière seul.
Mais le succès n'est pas aussi facile qu'il l'aurait pensé, et qu'il pourrait avoir mis son couple en danger. Griffin expérimentera alors l'adage : "On ne connait pas la valeur de ce que l'on possède avant de tout perdre ".

Faire un tome sur Griffin était un pari assez ambitieux. Dans la saga Thoughless, Griffin est aussi attachant qu’exaspérant, et je craignais que ce cocktail qui fonctionne très bien pour un personnage secondaire ne me lasse quand ce dernier serait mis au centre du récit. J'ai assez répété combien j'aime cette saga (mon soupiromètre s'active rien qu'en pensant à Kellan), découvrir Griffin était donc une pierre nécessaire à l'édifice (chroniques dudit édifice ici, ici, ici ou encore ici), même si je dois avouer que j'avais un peu peur que ce tome ne rende l'édifice branlant.

La dernière page tournée, je suis agréablement surprise : c'était une lecture décidément très savoureuse et même si je n'ai pas vibré autant que pour le tome qui concerne Kellan (oui, d'accord, je radote, je sais, mais quand même, je me demande qui va pouvoir détrôner Kellan !), j'ai vraiment apprécié de découvrir l'histoire d'un Griffin fidèle à lui-même mais qui est capable d'évoluer pour le bien de sa famille.

Il faut bien le dire, dès les premiers pages, Griffin est... Griffin. Egocentrique, narcissique, égoïste, tête à claques, mais aussi profondément amoureux d'Anna et de la famille qu'il a créée avec elle. L'on sent dès les premières lignes qu'il n'y a qu'avec eux que son armure de crétin mégalo tombe, laissant entrevoir ce qu'il peut devenir.

Bien sûr, ce tome suit les schémas classiques de l’ascension, la chute, la rédemption. Il pouvait difficilement en être autrement avec les bases posées par l'auteur dans les volumes précédents. Schéma classique, mais efficace et assez bien réussi. Griffin ne deviendra jamais un Kellan, il garde son identité tout au long des pages et c'est finalement beaucoup mieux comme ça.

Autre point positif, on retrouve les membres du groupe et on les voit évoluer, trébucher et le mot "famille" prend tout son sens dans cette histoire. C'est une vision assez idéaliste des relations humaines, -Griffin n'est rien sans les D-Bags, et les D-Bags ne sont rien non plus sans lui, mais j'aime bien les visions idéalistes et j'aime bien les belles histoires, alors cela me convient complètement, surtout en ces temps sombres que nous vivons.

Par contre il y a un gros point noir pour moi, un énorme point noir d'ailleurs, aussi grand que l'Everest. Il n'y a pas assez de Kellan (et de Kiera) dans ce tome... Comme ça ce n'est pas un tome sur eux? Ah oui, c'est vrai... Pardonnez-moi, je divague un peu, la faute à mon soupiromètre... Bon, finalement, ce n'est pas un point noir étant donné qu'ils sont présents eux aussi, c'est juste un regret de la fan pas vraiment objective que je suis.

Ce tome me confirme finalement une chose, S.C. Stephens est une auteure que j'aime beaucoup et je me jetterai sur ses prochains romans sans hésiter...

vendredi 8 juillet 2016

L'amour en minuscules, Francesc Miralles

Samuel de Juan est un professeur d'allemand solitaire qui aime se réfugier dans la littérature et la musique classique. De sa bulle, il ne s'échappe que pour donner ses cours à l'université.
Mais au lendemain d'un réveillon du Nouvel An, une visite inattendue vient bouleverser ses habitudes. Un grattement derrière la porte... Un chat.
Qui pouvait imaginer que le félin ferait troquer à Samuel sa vie d'ermite pour une vie d'aventures et mettrait sur son chemin un savant lunatique et une belle femme mystérieuse ?
Samuel n'est pas au bout de ses surprises...

Il y a une certitude dans le monde qui nous entoure, c'est qu'avec la frénésie de nos vies, nous avons perdu de vue l'essentiel, nous avons perdu cette faculté à nous émerveiller pour de petites choses, à voir des signes, de tout petits signes, insignifiants, à peine perceptibles, mais pourtant indispensables.

C'est ce que nous rappelle Francesc Miralles dans son "Amour en minuscules" qui est une ode à ces petites choses de la vie, ces petits bonheurs absolus à côté desquels nous passons régulièrement et qui pourtant sont la clé vers la félicité.

Samuel de Juan souffre d'une routine imposée par sa solitude. Professeur de littérature allemande, il porte ses 38 ans et ses premiers cheveux gris comme un poids sur les épaules. La nouvelle année arrive, une de plus pendant laquelle rien ne changera. La résignation est son alliée face à cette vie qui l'oppresse.

Et pourtant, cette nouvelle année lui réserve bien des surprises. Tout commence par un grattement à la porte, insistant, énervant, exapérant. Il l'ouvre et apparait un chat comme tous les autres. Pas plus beau, pas plus laid. Tigré, sans doute jeune, et comme tout bon félin qui se respecte, culotté.

Le chat s'impose comme le premier signe du changement. Il pose ses valises, ou plutôt ses poils et ses grands yeux qui sondent l'âme, chez Samuel qui le baptise, une fois de plus résigné, Mishima.

S'ensuit une multitude de petits évènements provoqués par monsieur félin, une escapade à l'étage et la rencontre du vieux voisin, un drôle de livre à écrire, des retrouvailles à un feu rouge, une crinière noire qui hypnotise, une jolie vétérinaire, un amour absolu d'enfance, la solidarité, la tolérance, la connaissance de soi. Tout ça parce qu'un chat a décidé que l'appartement de Samuel était le sien, tout ça parce que Samuel a enfin décidé de revenir vers l'essentiel de la vie, vers ces signes simples, quotidiens, ces petits gestes qu'on ne voit plus et qui pourtant sont la clé.

C'est une lecture que j'ai beaucoup appréciée, les chapitres sont courts, teintés d'érudition musicale ou littéraire, les personnages sont attachants et le message est clair. L'on pourra reprocher une grande naïveté, une certaine candeur, des aphorismes semblables parfois à un éléphant dans un magasin de porcelaine, mais je me suis laissée portée par cette tendresse qui caresse le coeur.

La vie est faite de signes, souvent infimes, de bonheurs tout aussi minuscules, alors ouvrons-les yeux pour ne plus passer à côté.