mardi 29 septembre 2015

U4, Jules, Carole Trébor

Jules vit reclus dans son appartement du boulevard Saint-Michel, à Paris. Il n'a pas de nouvelles de ses parents, en voyage à Hong Kong lorsque l'épidémie a commencé de se propager. Le spectacle qu'il devine par la fenêtre est effroyable, la rue jonchée de cadavres. Mais il sait qu'il ne pourra pas tenir longtemps en autarcie. Pour affronter l'extérieur, Jules redevient le guerrier impavide qu'il était dans le jeu. Il va alors retrouver son frère aîné, qui se drogue et dont il ne peut rien attendre, puis secourir une petite fille qui a mystérieusement échappé au virus et qu'il décide de prendre sous son aile. Son seul espoir : le rendez-vous fixé par Warriors of Times.

Un monde apocalyptique, un virus foudroyant qui a décimé la population mondiale, de la survie... Le concept U4 ne pouvait que piquer ma curiosité, surtout quand on sait qu'il se compose de quatre ouvrages. Chaque ouvrage, écrit par un auteur différent, s'attache à un personnage que l'on va obligatoirement croiser dans les autres volumes. Sacré défi pour ces auteurs !

Me voilà donc plongée dans celui qui suit Jules, un adolescent comme les autres avant la tragédie. Complexé par son surpoids, passionné par les jeux vidéos, il préfère qu'on l'oublie plutôt que de recueillir les regards, hormis quand il est devant son écran. Un autre univers s'ouvre alors à lui, c'est un guerrier, un maître, quelqu'un de respecté dans cet univers virtuel.

Sauf que l'univers virtuel est devenu réalité. Tout a basculé. Le virus a frappé, et ne reste que des adolescents qui survivent comme ils le peuvent. La vie n'est plus un jeu, elle est cruelle, brutale, sanglante... Elle fait ressortir le pire de l'être humain, ce qu'il y a de plus sombre en nous. Elle fait grandir, beaucoup trop vite. Les responsabilités tombent, on s'organise. Comme on peut. Tout n'est qu'une question de survie... et de garder son humanité.

C'est une bonne surprise que cet ouvrage. L'idée du virus est tout bonnement géniale, elle s'éloigne des traditionnels zombies et autres morts-vivants (même si j'adore les zombies!) qui évoluent dans ce genre de littérature. Les monstres sont bien réels, ce sont peut-être nos voisins, nos cousins. Celui qui presse la gachette est peut-être notre ami d'enfance, notre frère. La tragédie bouleverse, transforme. Pour survivre, il faut faire des choix.

L'évolution de Jules, sorte de anti-héros dans une littérature où les bons sont toujours beaux, forts et intelligents, a été rafraîchissante et a teinté de réalité ce monde irréel. Sa rencontre avec la Minuscule, son attachement pour cette petite fille, l'envie furieuse de survivre, mais pas à n'importe quel prix, les rencontres sont autant de points que j'ai appréciés.

Au fil des pages, le monde se met en place, les interrogations pleuvent, certaines trouvent leur réponse, d'autres non, et là se trouve peut-être le seul bémol que je pourrai faire. La plume de Carole Trébor est vraiment agréable, elle mène son récit tambour battant vers une fin... qui m'a laissée perplexe. Une de ces questions qui restent sans réponse.

Je vais devoir lire les trois autres à la recherche ces réponses qui me manquent, en espérant les trouver, parce qu'écrire une histoire à huit mains est loin d'être une tâche aisée.

Merci beaucoup à la Masse Critique de Babelio pour cette lecture!

jeudi 24 septembre 2015

Tes mots sur mes lèvres, Katja Millay



Après avoir été agressée, Nastya, ancienne surdouée du piano, s’est inventé une nouvelle identité et s’est réfugiée dans le silence. Elle ne parle plus depuis deux ans. Josh, lui, est seul au monde. Tous les membres de sa famille sont morts les uns après les autres. Son remède : la solitude et le travail du bois. Peu à peu, Nastya partage la vie de ce garçon doux et discret. L’amitié s’installe, puis les sentiments amoureux. Nastya se remet à parler, sans pour autant se dévoiler. Nastya et Josh se soignent l’un l’autre, craignant tout de même de trop s’attacher, la vie ne les ayant pas habitués au bonheur. Leur passion sera-t-elle plus forte que les blessures de la vie ?
---------------------------------
Résumé des Chroniques de la Liste-noire-des-livres-interdits.
Une sombre menace plane sur nos livres-chéris, sur ces ouvrages qui nous transportent jusqu'à pas d'heure dans la nuit et nous font rêver encore et encore dans la journée : les Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre les ont déclarés « dangereux pour l'humanité », et nous somment, nous, les humbles lecteurs, de les leur livrer. Voici l'histoire de notre rébellion! 

----------------------------------
Pour la troisième fois depuis que nous nous sommes engagées dans la rue, mon mouchoir fait l'ascension jusqu'à mon nez et je me mouche bruyamment.

– Chuttt, me murmure Johanne, l'inquiétude teignant sa voix. Tu vas nous faire repérer.
– Je fais ce que je peux, je suis malade. Je vous l'avais fait remarquer avant de partir! grommelé-je.
– Pas d'arrêt maladie pour la lutte ! chantonne Melliane dont la bonne humeur de ce soir est proportionnelle au rose de son écharpe. 
Il est vif, très vif. Dommage qu'il ne réussisse pas à faire fuir la pluie fine qui tombe et qui nous colle au corps comme une seconde peau.

– Mouais, ce n'est pas vous qui avez de la fièvre... Je crois que j'avais dit un truc du genre « Mauvaise idée », « Très mauvaise idée ». J'avais même ajouté : «  Je ne le sens pas du tout! »
– C'est normal, tu as le nez bouché ! ricane Le Chat du Cheshire.

Un bazooka portatil, voilà ce qu'il me faudrait. Il serait caché dans la bretelle de mon soutien-gorge et je pourrais le sortir d'un mouvement lest... J'imagine des centaines de petits morceaux du Chat voler dans l'air avant de secouer la tête. Je me contente, dans un geste très mature, de lui tirer la langue.

Lup'Appassionata presse le pas. Je crois qu'elle a autant envie que moi d'échapper à cette pluie. Ou peut-être est-ce parce que Melliane leur a expliqué pourquoi elle avait choisi ce jour précisemment. L'église se situe dans le quartier du siège des Livres-Addicts Anonymes, là où se tiennent les réunions, auxquelles nous n'assistons plus d'ailleurs. Normalement, ce soir, les lieux sont déserts. Cette révélation n'a pas rassuré nos nouvelles recrues, Bea et elle. Elles ont pâli de concert, les Livres-Addicts Anonymes sont notre version du croque-mitaine, sauf que la Cerbère Rousse est bien réelle et qu'elle ne fait pas que hanter nos cauchemars.

Je me mouche de nouveau.
Chut, me réprimande Melliane à son tour. Tu vas nous faire repérer !

Mouais, c'est son écharpe qui va nous faire repérer. 

Je m'arrête net en plein milieu du trottoir. Roanne manque de me percuter et glisse sur un papier gras. Elle s'agrippe à mes épaules pour ne pas tomber et je pousse un gémissement de douleur. J'ai le corps raidi par le froid et l'humidité qui me transpercent.
L'automne s'installe dans les rues, Roanne a enfilé un poncho qui m'a l'air très chaud et confortable. J'envisage un instant de le lui subtiliser discrètement. Ma fièvre fait de la résistance et j'ai des courbatures. Je renonce aussitôt, le mot-clé d'une telle action est « discrètement » et je n'ai rien d'une magicienne, sans parler de ma vitesse qui est davantage équivalente à celle d'une tortue plutôt qu'à celle de la lumière. 

Je lève une main et commence à compter sur mes doigts.
– Je récapitule : 1/ il fait froid, 2/ il pleut. 3/ On est dans le quartier du siège des Livres-Addicts Anonymes que préside la Cerbère Rousse, et 4/ -je la pointe du doigt- Le Chat s'est mis dans la tête que les prophéties parlent d'une église, et en plus, il faut que ce soit celle-ci, dans ce quartier. Et après on dit que c'est moi qui suis malade, terminé-je en regardant le ciel pour donner un côté mélodramatique à mon propos. 

Je fronce les sourcils et plisse les yeux pour mieux voir. Etrangement, une clairière s'est ouverte dans ce ciel chargé, comme si quelqu'un avait soufflé sur les nuages pour les écarter.
– Hey, les filles, ça ne serait pas la Mer de la Tranquillité ça ?

Les cris de deux chats se livrant bataille déchirent le silence environnant. Leur répond le klaxon endiablé d'un taxi, suivi des rires d'un groupe de jeunes qui entrent dans un restaurant.
– T'inquiète pas, elle fait ça tout le temps souffle Melliane à Lupa'Appassionata qui me regarde d'un œil soucieux.
– Même quand elle n'a pas de fièvre ? rétorque cette dernière.

La réponse de Melliane m'échappe. Je continue d'observer le ciel. Il me semble que c'est bien la Mer de la Tranquillité.
– Euh, les filles... on fait quoi là ? demande une Bea pas plus rassurée.
Elle arrive à la hauteur de Lup'Appassionata et me passe une main devant les yeux.
– C'est rigolo, elle ne bouge pas !
Lup'Appassionata me pince le bras à travers mon pull.
Aucune réaction... C'est fort... légèrement flippant, mais fort... constate-t-elle.
– Ça lui arrive... Parfois, elle déconnecte et poum, elle se met à divaguer... C'est normal...explique Roanne d'un ton blasé.
– Ah bon... Enfin elle a l'air complètement à l'ouest là, continue Bea.
– C'est bon, on peut aller chercher cette église ?
Johanne jette un coup d'oeil à droite et à gauche. Elle est inquiète.

– Les filles, c'est la Mer de la Tranquillité ! répété-je en détachant bien les syllabes.
Je me mets à sautiller sur place, le doigt pointé sur le ciel.
La Mer de la tranquillité !.
Melliane me met la main sur le front.
– Finalement, elle a de la fièvre...
– Mais c'est comme dans le livre ! m'exclamé-je en battant frénétiquement des mains et en improvisant un drôle de ballet avec mes jambes.
– De quoi elle parle ? chuchote Bea. C'est un code ?
– La vraie question est plutôt : c'est contagieux ? Parce que sinon, je vais reconsidérer ma participation ! ajoute Lup'Appasionata.

Je pousse un long soupir.
– Dans le livre, The sea of tranquility / Tes mots sur mes lèvres, il y a ça : c'est une constellation...
Je leur montre le ciel avec quelques étoiles alignées avant de poursuivre.
– Enfin, ce n'est pas vraiment un livre qui parle de tranquillité d'ailleurs. C'est plutôt un livre déchirant qui porte sur la reconstruction, sur la survie. Est-ce que survivre après un drame est suffisant ? Nastya a vu tous ses rêves s'envoler. Ils ont disparu tandis qu'on s'acharnait sur elle. Josh a subi son lot de drames, tous ceux qu'il a aimés sont partis. La douleur, il connait, mais il veut s'en préserver. La rencontre de ces deux âmes brisées était écrite, pour voir si l'espoir subsiste, s'il y a autre chose que la douleur.
– Mais, quel rapport avec la Mer de la Tranquillité ? s'enquiert Roanne.

Un petit sourire flotte sur les lèvres de Johanne.
– Il faut lire le livre pour comprendre, dit-elle, mais attention, en le lisant, on rajoute encore à notre liste un ouvrage à protéger ! C'est un ouvrage qui fait mal, de cette douleur qui vous hante pendant des jours.

Je poursuis en fermant les paupières pour me calmer et ne pas élever la voix. Je risquerai d'attirer l'attention sur nous.
– Parce que ce livre n'est qu'émotions, que vibrations. C'est le type de livre qui vous fait oublier tout votre entourage, qui a le pouvoir de vous briser le cœur pour le recoller ensuite. Nastya est un personnage très fort, qui s'est réinventé pour mettre un pas devant l'autre. Le mutisme, les vêtements provocants, une obsession pour les noms. La vengeance. Une armure l'emprisonne, elle ne sait plus comment faire pour respirer librement, le poids de son passé pèse sur sa poitrine. Josh est très attachant. Il a une lucidité sur les choses qui fait parfois froid dans le dos. C'est un pilier, replié dans la forteresse de son garage où il entame chaque soir un dialogue avec le bois qu'il travaille. La rencontre de ces deux âmes blessées étaient inévitable. Tout comme les questions qui viennent ensuite. Auxquelles Nastya ne veut pas apporter de réponses.

Johanne hoche silencieusement la tête, elle comprend de quoi je parle.

Je m'oblige à ouvrir les yeux. Mon cœur s'entraîne au cent mètres dans ma poitrine.
– Bon, elle est où cette église ? On a du boulot, je crois ! m'exclamé-je avant d'éternuer.
– Au coin de la rue... Juste à côté du siège des réunions des Livres-addicts Anonymes, précise le Chat.
– Là où est notre super copine complètement barge, ironise Melliane.

C'est clair que je ne citerais pas la Cerbère Rousse comme exemple de stabilité.

Le Chat se poste devant nous, les mains sur les hanches.
– Alors on se tait maintenant ! Et on y va !
Je manque de lui faire un salut militaire et je me rends compte qu'il en va de même pour Bea et Lup'Appassionata. Les visages de Johanne, Melliane et Roanne sont aussi graves que l'heure.

– On y va ! ordonne-t-elle.
Nous marchons en silence jusqu'à arriver devant l'église.
– Nous y sommes...

Oui, nous y sommes. Les filles s'approchent de la lourde porte et instinctivement, mon regard remonte le long de la façade. Cette fois, ce n'est pas la Mer de la Tranquillité que je distingue, mais des gargouilles. Elles me sourient avec leurs yeux globuleux. 

Je n'ai jamais aimé les gargouilles, jamais...


PS : Je vous ai mis la vcouverture espagnole (eh oui, on ne se refait pas, lu en espagnol...) qui est identique à celle de la VO et que je trouve plus jolie que notre version française. Que voulez-vous, superficielle quant aux couvertures je suis, superficielle je resterai !

PS2: Pour lire la chronique de Johanne, c'est ici!

mardi 22 septembre 2015

Le contrat Salinger, Adam Langer

Signez, vous ne risquez rien, ou presque... Journaliste désabusé, Adam Langer retrouve un jour une vieille connaissance : Conner Joyce, auteur de thrillers en perte de vitesse en pleine promotion de son dernier roman. Ce dernier lui confie avoir reçu une offre ahurissante : un homme d'affaires richissime, lui a proposé d'écrire un roman rien que pour lui moyennant une somme colossale. Seule particularité, le contrat s'assortit de certaines clauses assez particulières : 1/ le livre rejoindra la collection privée d'exemplaires uniques de l'homme d'affaire, pour lequel ont déjà travaillé des écrivains aussi prestigieux que Thomas Pynchon, Norman Mailer ou J. D. Salinger... et n'en sortira jamais. 2/ Le propriétaire se réserve le droit d'exiger de l'auteur quelques modifications de son cru. 3/ l'accord doit rester absolument secret. Bientôt, et tandis qu'un Conner visiblement aux abois s'obstine à tout raconter à son ami – lequel se passerait bien de ces révélations –, l'histoire prend une tournure des plus inquiétantes : l'offre n'a évidemment rien de philanthropique, et le contrat désormais signé aura des conséquences imprévues.

Il y a quelque chose que je trouve très déroutant dans une lecture, quelque chose qui me perturbe et me pousse à tourner une page, puis l'autre et encore une autre... Quelque chose qui me fait m'arrêter au milieu du couloir de l'étage pour me gratter la tempe parce que je viens de repenser à un indice que je n'avais pas vu... Quelque chose qui m'amène à me demander : « Et si … ? Et si tout cela était vrai ? Non, ce n'est pas possible, c'est trop tordu... Mais si... ».

Voilà l'état dans lequel m'a laissée ce roman. Perplexe. Le cerveau tournant à mille à l'heure. Avec des « et si » qui semblent impossibles, mais qui s'agencent tellement bien que l'impossible devient possible. Alors je rationalise : « Non, mais, ça ne peut pas être le cas. Ça serait complètement fou... » Je me raisonne « Allons ma fille, ça y est, tu nous refais le coup, encore un de tes délires ! Ton psy va être content là, il va te faire enfermer ! Tu tombes presque dans la théorie du complot ! », mais ça ne sert à rien, les limites entre fiction et réel sont tellement minces, le pas vers une autofiction tellement petit... Ma tête résonne de ces « et si » qui s'ébattent allègrement.

Toutes les pièces sont au rendez-vous pour que le puzzle s'assemble parfaitement. Un narrateur Monsieur Journaliste-quelconque qui en plus porte le nom que l'on voit sur la couverture, un auteur comme tant d'autres, un riche homme d'affaires et ses lubies, le tout servi par une plume facétieuse qui retranscrit parfaitement le tempérament de tout ce petit monde.

Ce qui part comme une simple histoire de copains, une rencontre d'un jour pour une interview, devient un véritable récit noir, plein de mystères, me renvoyant dans un miroir, le reflet de la lectrice obsessionnelle que je suis.

J'ai adoré cette lecture, adoré. Une surprise magistrale. J'ai fait défiler les mots qui se sont entourés autour de moi pour me rendre prisonnière de ce récit diabolique et me hanter avec des « Et si » tout aussi machiavéliques.


Merci aux éditions Super 8 pour cette lecture ! Même si, à cause de vous, j'ai des hypothèses complètement ubuesques dans la tête !

mercredi 16 septembre 2015

Le maître des apparences, Jane Gardam

Filth fut pendant des années un avocat international de renom à Hong Kong. Mais il fut aussi un de ces enfants appelés « Orphelins du Raj » né dans l’empire britannique en Malaisie et rapatrié tout jeune en Angleterre pour être éduqué.

En déroulant sa vie ainsi que celle de sa femme Betty, Jane Gardam nous raconte la gloire de l’empire, la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début du XXIe siècle. Mais elle réussit aussi à éclairer la complexité de son héros que l’on appelle alternativement Eddie, le juge, fevvers, Filth, le maître de l’Inner Temple et sir Edward Feathers.

Parcours d'une vie, celle d'un homme aux multiples facettes, ce roman nous entraîne de la Malaisie au Dorset, en passant par Hong Kong dans un rythme sans répit.

Jouant entre présent et passé, le récit construit pierre après pierre le portrait du Vieux Filth, son enfance en tant qu'orphelin du Raj, ses bégaiements, la violence, l'amitié, les premiers émois, l'amour véritable, l'apprentissage d'une autre culture, les tensions.

« L'Histoire fait l'homme » ai-je lu un jour. En voilà une belle illustration. L'auteure dépeint parfaitement des pans entiers de l'Histoire de l'Empire britannique, de sa gloire à son déclin en faisant un détour par la Seconde Guerre mondiale, autant de moments qui vont forger le caractère de Filth, jusqu'à même lui faire perdre son identité première. Qui est-il derrière cette apparence austère, cette courtoise toute asiatique qui l'a imprégné pendant sa vie à Hong Kong ?

Cet homme, sous des dehors sans faille, a appris à dissimuler ses faiblesses, et le roman, page après page, flash-back après flash-back travaille à reconstruire celui qu'il est, au-delà des apparences, au-delà de ses multiples vies.

J'étais très perplexe en me plongeant dans les premières pages. Comment allais-je apprécier ce vieil homme bougon, acariâtre, qui frise la folie ? Mais la plume de l'auteur a fait son œuvre et les pages ont défilé sans que je m'en rende compte, me réservant bon nombre de surprises auxquelles je ne m'attendais pas du tout.

Un très bon roman sur le fil de la vie, très bien documenté et servi par une écriture habile qui oscille entre gravité et légèreté.

Une jolie surprise !


Merci aux éditions JC Lattès pour cette lecture !

samedi 12 septembre 2015

La faille, Isabelle Sorente

Lucie Scalbert était la plus belle fille du lycée. Avec un je ne sais quoi de dingue dans le regard. Je n’ai pas été surprise qu’elle devienne comédienne, je l’ai perdue de vue alors que le succès semblait l’attendre. Voilà que je la retrouve cinq ans plus tard. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Elle a abandonné sa carrière, elle prononce le nom de VDA, son mari, avec un mélange d’effroi et de rancœur. Ce vieillissement précoce, cette voix enfantine, ce rire désespéré : je comprends que c’est cela, une relation d’emprise.
Ce qui fascine une romancière, en l’occurrence, Mina Liéger, mon double fictionnel, c’est ce lien étrangement raisonnable qui unit une femme à un homme qui la rend folle. À mesure que je reconstituais l’histoire de Lucie Scalbert, il devenait évident que ce lien relevait moins de la psychologie que de la possession : une force mettait Lucie à la merci des hommes dont elle tombait amoureuse. Ce rapport destructeur produisait chez ceux qui en étaient témoins un sentiment de déjà-vu, comme si nous en reconnaissions l'empreinte dans nos faux-semblants et nos secrets de famille, et jusque dans les événements qui bouleversaient nos vies. L'emprise de VDA sur Lucie obéissait à des lois trompeuses, cruelles et romanesques qui tissaient la toile dans laquelle nous étions pris.

Si l'on devait matérialiser la vie, un long fil serait une image assez juste. Il serait ponctué de nœuds, plus ou moins serrés, plus ou moins rapprochés symbolisant les obstacles que l'on a rencontrés. Le fil de la vie de Lucie serait jalonné de montagnes de nœuds. Une mère difficile, l'envie de plaire, et puis VDA. Ce serait le plus gros, celui à cause duquel le fil pourrait se rompre.

Le roman d'Isabelle Sorrente commence comme tous les romans. On pourrait même imaginer un début à la « Il était une fois ». Il était une fois deux enfants, séparées par quelques années, qui se lièrent d'amitié. L'une avait la beauté d'un elfe et des cheveux de lumière, l'autre l'intelligence d'un ange. Ce pourrait être un bon début. Mais comme dans toutes les histoires de ce genre, il y a un méchant. Un très grand méchant. VDA.
Parce que finalement, si les contes ont un fond de vérité, il en va de même pour cette histoire. Ces nœuds qui peuvent rompre le fil, tout le monde peut les rencontrer.

Mina et Lucie sont amies d'enfance. Lucie a tout pour être heureuse, en apparence. Les apparences sont essentielles, elles empêchent de voir ce qui est fêlé. Et la vie de Lucie est fêlée. Derrière sa chevelure éclatante se cache une faille profonde : cette envie démesurée de plaire. Plaire à sa mère qui ne la pense pas assez intelligente, plaire à ses camarades qui la regardent bizarrement. 
Mina, quant à elle, a l'intelligence, mais elle a du mal à trouver sa place. Elles se rencontrent, une amitié naît. Mais le fleuve de la vie est sinueux et les sépare.

Les années passent, elles se construisent, dans la distance. Des retrouvailles et rien n'a changé. Ou plutôt tout a changé. L'éclat de Lucie s'est terni, sa chevelure s'est éclaircie. Elle est mariée désormais à un homme à qui tout réussit. Vincent-Dominique Arnaud. VDA. Il est fou amoureux d'elle. Du moins, tant qu'elle reste sous son joug. VDA est un méchant de la pire espèce, c'est un manipulateur, passé maître dans l'art de la violence psychologique.

C'est une histoire effrayante que nous livre l'auteure. 

Ce récit dense se construit progressivement, lentement, comme la vie. De longues pages s'égrainent sans dialogues, et quand ces derniers arrivent, ils n'apportent pas la libération désirée. Les mots ne peuvent pas libérer, ils sont oppressants, comme ce fil de la vie qui s'enroule autour du cou de Lucie et qui serre, qui serre...

On a beau se protéger derrière la cuirasse de la fiction, se dire que cela ne nous arriverait jamais, on sait très bien que l'on se ment. Parfois, nos routes croisent celle de la mauvaise personne, et en sortir indemne est impossible. La seule issue est s'en sortir tout court.

L'écriture de l'auteure m'a fascinée. Cette distance prise avec les faits grâce à Mina à travers laquelle nous vivons le récit n'a pas empêché la répulsion envers VDA d'éclater. L'exaspération vis-à-vis de la Lucie des premières pages a fait place à une compassion qui m'a étreint le cœur. Cette lente descente aux enfers, presque méthodique m'a fait serrer les poings. L'horreur n'arrive pas d'un coup, elle se prépare.

Isabelle Sorente nous livre un roman d'une force incroyable, un roman marquant, de ceux dont on se souvient encore des années durant. Ces pages poussent à la réflexion. On peut tous être des victimes, et démêler les nœuds du fil de la vie s'avère être une tâche bien plus ardue qu'il n'y paraît.

Merci aux Editions JC Lattès pour cette lecture !


vendredi 11 septembre 2015

Un mari récalcitrant, Les sœurs Charbrey tome 2, Cassandra O' Donnell.

- Ton fiancé sait-il à quel point tu peux être insolente dans l'intimité ?
- Non, mais moi je sais à quel point tu peux être mufle devant tout le monde, rétorqua Rosalie avec un sourire glacial.
Rosalie Charbrey ne parvient pas à y croire. Comment le duc de Langford, l'homme qui l'a séduite et abandonnée deux années plus tôt, ose-t-il se comporter d'une manière aussi odieuse ? Que cherche-t-il après tout ce temps ? À ruiner son bonheur et son prochain mariage avec le jeune et charmant vicomte d'Edgfield ? Bah, peu importe si ce débauché semble, pour une raison obscure, déterminé à lui rendre la vie impossible, Rosalie est fermement décidée, elle, à résister aussi bien à ses assauts qu'à gagner la guerre que « Sa Grâce » vient de lui déclarer...

Une bonne romance historique est un peu comme un énorme gâteau au chocolat pour moi. Trouver du chocolat de qualité n'est pas une chose aisée. Je me damnerais pour du chocolat blanc, mais du bon. Celui qui va me mettre de bonne humeur toute la semaine, me faire sourire même quand mon chef m'annonce qu'il ne peut pas payer mes heures sup, celui qui va me faire écouter les histoires de ma collègue-qui-voit-tout-en-noir sans sourciller... Trouver ce chocolat relève du parcours du combattant. Et trouver un gâteau élaboré à partir de ce chocolat également. Mais il fait pourtant toute la différence.

D'ordinaire, j'aime beaucoup ce que fait Mme O'Donnell. Sa saga Rebecca Kean n'a pas à rougir devant les étals des sagas américaines et le tome 1 des Sœurs Charbrey, malgré quelques défauts, m'avait fait passer un agréable moment.

La lecture du tome 2 me laisse une drôle de sensation. Celle de la frustration. Celle d'un dessert alléchant et pour lequel le goût n'est pas au rendez-vous. Tous les éléments sont là pour avoir un récit efficace. La plume de l'auteure est vive et pleine d'un humour qui rend les dialogues succulents, les personnages sont croustillants, mais... Il manque cet aspect historique bien développé, un approfondissement des émotions et des situations qui font que, cuillère après cuillère, on se ressert et on finit le gâteau tout entier alors qu'au début, on s'était promis de n'en prendre qu'une part. Une toute petite part.

Tout s'enchaîne trop vite, les difficultés sont franchies en un tour de main. Le glaçage coule, il ne tient pas. Les personnages sont ébauchés, mais ils manquent de consistance. L'apparence est belle, mais la saveur reste fade. Le personnage de Rosalie m'avait mis l'eau à la bouche : une auteure à une époque où être une femme et écrire n'étaient pas synonymes de respect avait le goût de l'interdit, de cette crème dont on salive à l'avance et dont on se délecte, et qui, on l'espère, fondra sur la langue. Ses retrouvailles avec John promettaient beaucoup, le piment qui relève l'ensemble, le mélange du sucré et du salé, mais le craquant ne craque pas et le mélange ne prend pas.

Cette lecture me laisse un goût d’inachevé qui m'embête beaucoup. Trop de légèreté peut-être... Quand je mange un gâteau au chocolat, je ne fais pas attention aux calories. Pas assez de décorum, de saveurs pour enrober l'histoire... Finalement, les défauts du tome 1 ont pris un peu trop d'ampleur, et j'ai eu l'impression d'être mise au régime. Et je n'aime pas être au régime.

lundi 7 septembre 2015

Profession du père, Sörj Chalandon

« Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Eglise pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider. 
Je n’avais pas le choix. C’était un ordre.J’étais fier. Mais j’avais peur aussi…

13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet. » 
Quand on évoque la folie, la compassion est souvent de mise. La peine que l'on ressent pour la personne qui souffre de démence, l'oubli qui assiège son esprit, la perte du moment présent, de tout ce qui construit l'individu... La folie est l'amante exigeante de celui qui en est atteint, elle le protège contre la lucidité qui le briserait. Il n'est conscient de rien. 

Mais son entourage... Son entourage subit ses lubies, subit sa folie... subit cette personne qui n'a de commun avec celui ou celle que l'on aime que le physique. L'esprit n'est plus. Et cela peut être destructeur, très destructeur quand l'entourage n'a pas conscience de ce fantôme qui hante l'esprit.

C'est cette lente descente aux enfers que nous présente Sörj Chalandon. Pas celle du père qui évolue dans son propre monde, même si les mots sont suffisamment lourds de sens pour que l'on comprenne dans le détail de quoi est fait ce monde, mais celle de son fils, Emile, le narrateur.

Emile n'est qu'un enfant quand l'état de son père le percute de plein fouet. Son père n'est pas comme les autres, il a eu mille vies. Agent secret, conseiller du président, footballeur, pasteur... Comment ne pas le croire ? C'est son père. Et un enfant doit croire son père, l'idolâtrer, surtout quand celui-ci a entre ses mains une mission d'une telle envergure, à laquelle il lui demande de participer. Emile est suffisamment grand maintenant, il doit s'engager, aller au devant de son destin, suivre les traces de son père. Emile travaillera pour l'OAS, l'Organisation de l'Armée Secrète qui défend la présence française en Algérie en utilisant tous les moyens pour arriver à ses fins, y compris le terrorisme. 

La pression que portent les épaules d'Emile est lourde, mais c'est son père, qui, même s'il est parfois -souvent- violent, lutte pour un idéal, une noble cause. Alors Emile s’exécute, le cœur plein de la confiance de son père, la peau bleue de ses coups.

Mais la folie est contagieuse, ou du moins modifie le tempérament des gens. Emile subit celle de son père, ses mensonges, sa tyrannie, son mépris aussi, et dans un effet miroir, il reproduit le même schéma chez Luca, un camarade de classe fraîchement arrivé dans l'école. Jusqu'à ce que tout cela aille trop loin. Les jeux d'enfants franchissent une limite à laquelle son père ne l'avait pas préparé. 

Sa mère vit, elle aussi, à sa manière, cette folie. Elle se mure dans le silence, ombre à la maison qui viendra gratter à la porte de l'armoire dans laquelle est puni son fils. Elle s’adapte, fait tout pour ne pas contrarier son mari. "Tu connais ton père". Ces mots qui justifient, ces mots qui excusent, ces mots qui mettent un voile sur l'horreur.

Quel roman ! Mais quel roman ! J'ai cessé de respirer à plus d'une reprise tellement j'ai haï ce père capable de faire endurer les pires atrocités à son fils. J'ai détesté la mère également, Denise et ses « Tu connais ton père », comme si cela justifiait tout. A trop fermer les yeux, elle finit par être atteinte du même mal et ne verra pas ce qui se passe sous son toit, complice silencieuse de la folie.

Rarement un récit m'avait autant touchée... Les mots sont forts de simplicité et de sincérité, et ont une résonance autre quand on sait que cette histoire est celle de l'auteur. Quelle force il a fallu pour surmonter tout cela, pour se construire dans ce monde qui détruit ! 

Un véritable coup de cœur...

Merci aux Editions Grasset pour cette lecture!

dimanche 6 septembre 2015

Se lever à nouveau de bonne heure, Joshua Ferris.

Paul O’Rourke est un dentiste hors-pair, un New-Yorkais qui entretient avec sa ville des rapports ambigus, un athée convaincu, un supporter désenchanté des Red Sox, et grand amateur de mokaccino. Et pourtant il est hors du monde moderne. Son métier, certes, occupe ses journées, mais ses nuits ne sont qu’une succession de regrets ; il ressasse les erreurs qu’il a commises avec Connie, son ex-petite amie (qui est également l’une de ses employées) et, tour à tour, vitupère ou s’émerveille devant l’optimisme du reste de l’humanité.
Ainsi va sa vie, jusqu’à ce que quelqu’un se fasse passer pour lui sur le web. Impuissant, Paul O’Rourke voit, avec horreur, paraître en son nom un site internet, une page Facebook et un compte Twitter, qui semblent vouloir faire l’apologie d’une religion ancienne tombée dans l’oubli. Mais cette imposture on line, bientôt, ne se contente plus d’être une simple et odieuse atteinte sa vie privée. C’est son âme même qui se retrouve en danger, car son double numérique est peut-être bien meilleur que sa version de chair et de sang. Ce nouveau roman de Joshua Ferris, vertigineux d’inventions, emprunt d’un humour caustique, s’attaque aux trois fondamentaux de notre existence moderne : le sens de la vie, l’inéluctabilité de la mort, et la nécessité d’avoir une bonne hygiène dentaire.

J'ai peur des dentistes. Voilà, c'est dit. J'ai même très, très peur des dentistes. Une véritable phobie. De celles qui font que, lorsque je vais faire mon contrôle annuel dentaire, je suis obligée de rappeler à mon dentiste que j'ai très peur, et que comme j'ai peur, je pourrais devenir agressive. Refermer ma bouche brusquement sur ses doigts fait partie des réactions que j'ai du mal à contrôler. Inutile de préciser que lorsque l'incident se produit, mon dentiste perd son sourire aimable. Chaque année, je lui rappelle que j'ai été traumatisée, adolescente avec mes dents de sagesse qui sont apparues très tôt (j'ai toujours été très sage, que voulez-vous), mais j'omets de lui dire que même avant cela, j'avais déjà cette peur-panique.

Pour moi, un dentiste n'est pas humain. Derrière le sourire doux se cache autre chose. Un démon ? Une créature surnaturelle qui se nourrirait de l'émail de mes dents ? Un extraterrestre venu étudier notre ADN dentaire avant l'invasion planifiée de notre planète ? Ça ne peut être que cela. Un dentiste ne peut pas être un homme comme les autres, non, ce n'est pas possible. Un homme qui se cache derrière un masque est forcément louche. A moins que...

Paul O'Rourke n'a rien d'un vampire ou d'un démon. Il n'a pas de tentacules qui sortiraient de l'arrière de sa tête pour arracher les dents ou aspirer le sang de ses patients. Non. C'est un homme rien qu'un homme, avec sa conception de la vie et ses petites manies.

Paul est un dentiste réputé au cabinet bien rempli. Entouré d'une équipe solide, il a tout pour être heureux. Sauf que la vie de Paul est pleine de ses doutes, de ses questions, de ses regrets... et de sa solitude... Sa vie suit un fleuve en apparence tranquille, et il se laisse porter par le flot de sa monotonie. Jusqu'à ce que quelqu'un publie sa bibliographie sur le net. Et ce quelqu'un utilise la Bible pour faire sa bio. La Bible ! Alors que Paul est athée ! Et ce quelqu'un insiste en renouvelant plusieurs fois les communiqués via les nouvelles technologies. Quelqu'un a usurpé son identité ! Quelqu'un essaye de le faire passer pour ce qu'il n'est pas ! Quelqu'un essaye de le faire disparaître en réécrivant sa personnalité, son essence ! Quelqu'un lui vole sa vie tout simplement ! Commence alors un échange entre lui et son « biographe » qui l'enfonce dans un imbroglio de situations, où rencontres et complications vont jalonner ses jours.

Malgré un début un peu long à mon goût, début dans lequel les considérations et l'introspection du narrateur occupent une place considérable et pénalisent un peu le rythme du récit, j'ai pris beaucoup de plaisir à cette lecture. L'écriture est soignée, gagne en rythme au fil des pages, les personnages attachants et plein d'humour. Même Paul. Rendez-vous compte, j'ai aimé un roman dont le protagoniste est un dentiste... Cela vaut mille discours je crois !


Merci beaucoup aux Editions JC Lattès pour cette lecture !

samedi 5 septembre 2015

Indécent et Incandescent, Colleen Hoover

Indécent : Pour surmonter le brusque décès de son père, Layken, âgée de 18 ans, part s'installer avec sa mère et son frère dans le Michigan. Sa famille la considère comme un roc, mais en son for intérieur, elle est désespérée. Bientôt, une rencontre va tout changer : celle de Will, son voisin passionné de poésie, un être lumineux, patient et protecteur, qui partage beaucoup d'intérêts communs avec Lake, peut-être même trop... Après un premier rendez-vous exceptionnel, le quotidien reprend ses droits et amène avec lui un obstacle infranchissable. Les circonstances auront-elles raison de leur attirance hors du commun ?

Incandescent : Après le départ de la mère de Layken, elle et Will continuent leurs études tout en veillant sur leurs frères, ce qui ne leur laisse pas beaucoup de temps pour leur vie de couple. De plus, une trahison dans le passé de Will se profile.

Claquer... Voilà l'une des significations que l'on donne au mot « slam ». Cela viendrait de « To slam (a door) ». Faire claquer les mots, faire claquer son message. Ecrire un texte qui ait un sens, un vrai. Un texte qui soit un cri, celui des entrailles, celui du cœur. Un texte qui parle de soi et qu'ensuite, on va dire. Pas chanter, mais dire, en l'énonçant pour donner de la force aux phrases, aux mots, aux émotions.

Les mots me fascinent. Le slam me fascine. Je m'y suis toujours beaucoup intéressée. J'y vois une sorte de renouveau à la poésie, un genre dans lequel les barrières tombent. Pas besoin d'être un génie pour faire parler son cœur. Pas besoin d'être cultivé. Pas besoin de vivre dans un quartier chic ou au contraire dans une banlieue. Le slam aime la différence, quelle qu'elle soit. Nous sommes tous différents. Tous. Le slam est porteur d'émotions, de vérités. Nos émotions, nos vérités.

Logique donc que je me sois ruée sur Indecent et Incandescent de Collen Hoover. Logique aussi que j'en attende beaucoup. J'aime cette auteure dont les écrits "claquent". Hoppeless et Maybe someday, sont des textes forts. 

Premier constat, c'est inégal et c'est dommage. Le récit ne "claque" pas, il n'a pas la force d'un bon slam. Je le regrette beaucoup.

Indécent.
C'est indéniablement le volume que j'ai préféré. Lake et Will sont très touchants. Lui a grandi trop vite avec un destin qui lui a joué de bien mauvais tours. Adulte avant l'heure, il essaye de garder un semblant d'insouciance, même si celle-ci cadre difficilement avec ses responsabilités. Le slam est pour lui un exutoire, un moyen de garder la tête hors de l'eau, un moyen de dire ce qu'il doit taire. Le slam lui permet d'exister, d'être lui. 
Sa rencontre avec Lake va tout bouleverser. Le cœur n'a que faire des responsabilités. L'armure de Will se fissure, son être oscille. L'équilibre qu'il a instauré avec peine bascule. Il va devoir faire des choix, se comporter encore plus en adulte. Les doutes, les peurs ressurgissent devant cette jeune femme qui emporte tout sur son passage. 
La vie n'a pas décidé d'épargner Lake non plus, la tragédie frappe une nouvelle fois les siens. Elle va devoir prendre, elle aussi, des décisions normalement réservées aux adultes. La vie est ainsi faite, elle est faite de choix, de décisions.

Le récit de Collen Hoover s'engage sur des sentiers connus, celui d'une relation entre un prof et son élève. Mais elle réussit à apporter une touche d'originalité : le drame, le poids de la vie qui fait plier l'échine. Les personnages sont très attachants, Lake, Will, les petits frères, Julia sont porteurs d'émotions mais ce sont des émotions sur lesquelles l'auteure passe trop vite. Leur impact n'a pas la résonance attendue, la porte ne claque pas vraiment, elle se referme, lentement, sans bruit.


Incandescent. Même si Indécent n'avait pas été un roman qui m'avait transpercé le cœur, j'avais aimé les personnages, donc les retrouver m'était une idée agréable. Mais je suis déçue. Les défauts du 1 sont exacerbés dans le 2. Ce que vivent Lake et Will est dramatique. Elever seuls de jeunes enfants, faire face au poids du quotidien n'est pas une tâche aisée. Et pourtant, le récit manque de cette tension dramatique qui aurait alimenté les mots. L'auteure introduit des évènements pour créer cette tension, mais ils étaient inutiles à mes yeux. L'histoire en elle-même n'en avait pas besoin. Ces mêmes évènements sont traités avec la même légèreté que le reste. La remise en question reste en surface, tout n'est que surface. Le slam n'est plus un fil conducteur, il perd de son sens. Il n'est là que parce Will était un slameur dans le volume 1. C'était pourtant un vivier d'émotions brutes, d'autant plus que certaines idées sont vraiment fortes. Le harcèlement à l'école aurait mérité d'être mieux exploité, la perte, le passage à l'âge adulte aussi. J'aurais aimé recevoir une claque émotionnelle, frémir, être habitée par les mots, mais ils m'ont glissé dessus. Malheureusement.


Plutôt que mille discours sur le slam, une petite vidéo de Grand Corps Malade pour illustrer. 



En en compagnie de Richard Bohringer (Grand Corps Malade a également fait slamer Charles Aznavour).


Et pour ceux que le sujet intéresse, un entretien sur l'utilité du slam en milieu scolaire.

https://slamvs.files.wordpress.com/2010/03/cahiers_pedago_slam.pdf