vendredi 27 mai 2016

Gris présages, Meg Corbyn, tome 3, Anne Bishop.

Les Autres ont libéré la Cassandra Sangue pour protéger les prophèteBs du sang avant de réaliser que cela aurait des conséquences irréversibles... Les voyants se retrouvent encore plus menacés qu'ils ne l'étaient et Simon Wolfgard, change-forme et chef des Autres n'a plus d'autre choix que d'en appeler une fois encore à l'aide de Meg Corbyn malgré le danger qu'elle va encourir. Les ombres s'accumulent et les folies d'une faction de fanatique risquent d'apporter la guerre jusqu'aux portes de Simon et Meg !

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Résumé des Chroniques de la Liste-noire-des-livres-interdits.
Une sombre menace plane sur nos livres-chéris, sur ces ouvrages qui nous transportent jusqu'à pas d'heure dans la nuit et nous font rêver encore et encore dans la journée : les Dieux-de-tous-les-trucs-de-la-mer-et-de-la-terre les ont déclarés « dangereux pour l'humanité », et nous somment, nous, les humbles lecteurs, de les leur livrer. Voici l'histoire de notre rébellion! 
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Rappel de l'épisode précédent : Le Chat du Cheshire, dans une interprétation douteuse de l'une des prophéties, nous a entraînées dans une église, non loin du QG des livres-addicts Anonymes où sévit la Cerbère Rousse. Pour rejoindre Melliane qui s'est aventurée à l'intérieur, nous avons bravé l'obscurité pour tomber nez à nez avec...
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Assise en tailleur sur le sol, je sors un pot de Nutella de mon sac. Je regrette d'avoir pris le format "voyage", vu la situation, le kilo aurait été plus opportun. Les dalles de l'église sont un peu froides et je sens l'humidité des lieux s'immiscer à travers mon pantalon. Une goutte tombe des arches de l'église et finit sa course sur ma tête.
Ploc.
Suivie d'une autre.
Ploc.
Puis d'encore une autre.
Ploc...
Sans me lever, je me décale vers la gauche. On ne peut jamais être tranquille ! Et je ne parle pas de la dizaine de gargouilles qui nous observent comme si elles étaient en train de décider par laquelle d'entre nous elles allaient commencer leur festin.

Note pour moi-même: la prochaine fois, bien me renseigner sur mes ennemis. Je ne connais pas le régime alimentaire d'une gargouille. Enfin, jusqu'à maintenant, ne savais pas que les gargouilles existaient, alors de là à penser à leur aliment favori...

Je prends une grosse cuillerée dans le pot et je la fourre dans ma bouche. Le chocolat me détend, ça a toujours été comme ça.

Je ne peux pas m'empêcher de glousser. Dans cette position, on croirait presque que je suis en train de faire une manif, un sit-in ou un truc du genre. Ça pourrait être le cas. Je viens de finir le tome 3 de Meg Corbyn et il va me falloir patienter encore un an avant de lire le tome 4. Je devrais peut-être me mettre en grève pour avoir le 4 plus vite. On pourrait même tous se mettre en grève, la planète entière qui scanderait "On veut Meg, on veut Meg ! Et Simon !". Tous sauf Melliane...
Toi, ne fais pas de commentaire, ronchonné-je en la fusillant du regard.
Elle me jette un coup d'oeil surpris.
Tu l'as lu, alors tu ne dis rien.
Bea fait un pas vers moi et tend la main vers mon front. Mon regard assassin passe de Melliane à elle. Elle suspend son geste, puis fait mine de replacer une mèche de ses cheveux derrière l'oreille.
Il lui arrive quoi maintenant ? murmure Roanne.
Sais pas, répond Johanne en haussant les épaules.
Cherchez pas, elle divague, explique Le Chat comme si c'était une vérité universelle.
Je prends une autre grande cuillerée de Nutella.
Je ne divague pas du tout, je suis juste fâchée. Un an! Un an à attendre avant de retrouver Meg et Simon, l'enclos, Les Autres et les Humains! Si ça n'est pas une raison valable pour être de mauvaise humeur, je ne sais pas ce qu'il leur faut !
Je bougonne à voix haute, la bouche encore plein de pâte à la noisette.
Vous ne vous rendez pas compte ! Normalement, une série, elle s'essouffle un peu. L'intérêt chute, on a moins envie, on se lasse. Mais là... C'est tout le contraire! Anne Bishop apporte dans chaque tome de nouvelles pierres à l'édifice de l'univers dans lequel évolue les personnages. Elle tisse une trame complexe, noire, où apparaissent toutefois de fines touches de couleurs. Meg et Simon en sont un bon exemple. Ils sont l'incarnation de ce monde en mutation. Leur relation évolue, doucement, certains diront trop doucement. Leur façon de penser et de voir ce qui les entoure change. Ils apprennent à se découvrir, à découvrir les autres espèces, à cohabiter avec elles. C'est finalement le cas pour tous les personnages, et on se rend compte que dans cet univers, les humains pèchent souvent par excès de confiance et sont beaucoup trop imbus de leur personne. C'est d'ailleurs un fidèle reflet de la réalité. L'écriture est toujours aussi juste, les émotions bel et bien présentes, vives, l'humour aussi. La perception qu'ont les autres des humains vaut son pesant de Nutella ! Il y a beaucoup de personnages, mais ce n'est pas grave. On peut s'y perdre un peu au début, mais ils finissent par s'imbriquer complètement à la trame. Et puis la fin... ahhh... la fin...

Bea m'emprisonne de ses bras pour m'immobiliser.
Vas-y ! hurle-t-elle à une Lupa prête à bondir.
Cette dernière se rue sur moi et me plaque la main sur le front.
Pas de fièvre, c'est bizarre, constate-t-elle en faisant la moue.
Le Chat fait un drôle de geste de la main au niveau de sa tempe.
Cherchez pas les filles, c'est génétique. On n'y peut rien...
C'est quand même inquiétant je trouve, réfléchit Roanne.
Encore une nouvelle version de mon regard assassin. Si je continue comme ça, mes copines vont tomber comme des mouches et je vais me retrouver seules face à...

Mais oui... au fait...

En cercle autour de nous se tient toujours la dizaine de gargouilles. L'une d'entre elles se gratte avec une immense griffe le crâne d'où émerge une crête ridicule, tandis qu'une autre lance des coup d’œils inquiets à une troisième qui se trouve à quelques mètres à peine de nous. Elles sont toutes d'un gris uniforme, assez déstabilisant. S'il n'y avait pas leurs mouvements, on ne les distinguerait pas des dalles du sol de l'église.

Je suis une spécialiste du langage corporel. Je suis capable de lire dans les gestes ce que la parole refuse de nous dire.
Oui, oui, je vous assure. C'est un fait. Vous pouvez me croire.
Là, elles nous disent... euh... Voyons voir...
Je me concentre.
J'hésite entre "Miam, on va faire un super repas" et "C'est quoi ces êtres complètement frappadingues ?".

Je reprends encore une cuillerée de Nutella pour la route. Pas bon pour mon régime, mais tant pis. De toute façon, je ne sais pas si mon régime va servir à quelque chose étant donné qu'on n'est pas sûres de sortir vivantes de là.
La gargouille la plus proche fronce les sourcils dans un effet saisissant et retrousse un peu le nez. Elle émet un drôle de gargouillis puis lève la tête. Je comprends qu'elle cherche à se dégager les narines.
Les filles, vous vous êtes rendu compte d'où on est et de ce qui se passe? demande une Melliane visiblement nerveuse.
Elle n'arrête pas de jouer avec ses ongles. Heureusement qu'elle est là pour nous faire un état des lieux. Toujours pragmatique Melliane, un vrai cerveau...
Je ne réponds rien et continue de m'attaquer au pot. Quitte à ce que ce soit mon dernier repas, autant en profiter.
Les filles se rapprochent de moi et se serrent un peu plus les unes contre les autres. Même le Chat n'a pas l'air très rassuré. Les gargouilles font un pas vers nous. Celle qui me regardait bizarrement a amorcé le mouvement.
Un pas.
Un autre pas.
Elle lève une patte. Les autres s'arrêtent. Ses griffes luisent dans le rayon de lune qui s'introduit dans l'église par le vitrail brisé.
Elle renifle encore un peu dans ma direction et fait une drôle de grimace. Ses narines se referment aussitôt.
Hey, j'ai pris ma douche!
Puis elle fait un autre pas.
Et encore un. Elle se tient maintenant à un mètre de nous et je ne peux pas m'empêcher de froncer le nez. C'est elle qui devrait prendre une douche.
Elle fixe mon pot de Nutella et une langue marronâtre sort de sa bouche. Elle est en train de se lécher les babines.

Les filles se sont glissées derrière moi et me poussent légèrement en avant. Elles font bloc. Ou alors elles essayent de faire diversion en me balançant sur la gargouille ?
Cette dernière ouvre les narines et retrousse le nez. Sa langue s'agite encore entre ses lèvres marbrées. Ce n'est plus nous qu'elle regarde, elle est concentrée sur mon dernier repas.
Tu en veux? lui proposé-je en lui montrant le pot.
Le Chat se frappe le font de la paume de la main.
Mais elle débloque! T'as qu'à l'inviter à une soirée pyjama tant que tu y es !
La gargouille renifle un peu plus intensément et sa langue pendouille sur le côté. Son odeur est vraiment... dérangeante.
Bea, tu as ton parfum dans ton sac ?
Je ne vais pas en mettre sur une gargouille! s'offusque-t-elle en comprenant tout de suite ce que je veux faire.
Ça change quoi ? De toute façon, on va y passer... grommelé-je
Lupa se pince le nez.
– C'est vrai que l'odeur est... particulière.
Lupa est bien trop polie pour dire autre chose. "Particulière" est un euphémisme. Je crois même avoir vu quelques mouches tomber raides mortes sur le sol en volant à proximité.
Quitte à y passer, je préfère ne pas avoir cette odeur dans les narines.
Johanne acquiesce en hochant plusieurs fois la tête mais Bea s'accroche à son sac où se cache son flacon de parfum.
Non, non et NON  !
Discrètement, le bras du Chat se tend vers elle.
Un mouvement détourne mon attention de ce que s'apprête à faire le Chat. J'ai à peine le temps de voir que Roanne semble aussi décidée qu'elle à récupérer le flacon de parfum.
La gargouille est maintenant dans une position assez surprenante. Elle a basculé une partie de son corps vers l'avant et se maintient dans un équilibre précaire, le cou étiré vers nous, les narines dilatées.
Le pot de Nutella est toujours devant moi.
La gargouille se penche encore un peu et utilise ses pattes comme balancier.
Je plonge ma cuillère dans le pot et la lui tend. Elle étire tellement le cou que j'ai la sensation qu'il va finir par se décrocher de son corps.
Elle hume le contenu, hésite, puis le bout de sa langue ose prendre un peu de la pâte. Elle la rentre très, très vite dans sa bouche. Un ronronnement s'élève, à mi-chemin entre celui du chat et du tigre. Elle a l'air d'apprécier.

Bea est toujours agrippée à son sac. Le Chat a passé son bras autour de son cou, on pourrait croire qu'elle cherche à l'étouffer. Roanne et Johanne sont en train de tirer dessus. Tout cela en silence, on n'entend juste le ronronnement de la gargouille.
Je tapote sur le sol pour lui faire signe de venir s'assoir à coté de moi. Autant partager mon dernier repas, même si c'est elle ensuite qui va m'ouvrir les tripes.
Elle hésite, puis se rapproche encore, léchant toujours la cuillère qu'elle tient maintenant entre ses longues griffes.
Avant que j'aie eu le temps de respirer, le Chat, qui, quelques secondes avant, était en train d'immobiliser Bea pour récupérer son parfum, se jette dessus. Elle est rapide la bougresse, ça doit venir du Krav Maga !
Melliane, ton sac ! hurle-t-elle.
Dans une synchronisation parfaite, Melliane a ouvert son sac, Bea a jeté son écharpe sur la gargouille pour l'aveugler, Lupa, Johanne et Le Chat ont saisi le petit être qui ne comprend rien à ce qui se passe, et l'ont fourré dans ledit sac pendant que Roanne m'arrache le pot des mains et le fourre aussi dedans.
C'est fou ce que le sac de Melliane peut contenir !
– Ça va la calmer ! assène Roanne en s'essuyant le front.
La gargouille continue de ronronner.
Pchittt, Pchitt..
Bea vient d'asperger le sac de parfum.
Ben quoi ? nous demande-t-elle.
Aucune d'entre nous n'ose lui faire de commentaire...
– Bon, maintenant, on a le chef! On va pouvoir sortir! s'exclame Le Chat.
Et qu'est-ce qui te dit que c'est la chef ? répliqué-je en bougonnant.
J'ai perdu mon pot de Nutella, ma nouvelle copine et c'est moi la spécialiste du langage corporel, d'abord...
La logique : elles sont parties. Donc elles ont dû avoir peur parce qu'elles ne savent pas quoi faire sans leur chef. Si ce n'était pas le cas, elles nous auraient sauté dessus.

Mouais... Je ne suis pas convaincue, mais c'est vrai qu'il n'y a plus l'ombre d'une gargouille autour de nous. Hormis celle qui ronronne dans le sac.

Dix minutes plus tard, nous sommes dehors, indemnes. Les gargouilles ne nous ont pas suivies.
C'est ce que je vous disais. Sans le chef, elles sont perdues ! jubile le Chat.
Je crois même l'avoir vue se trémousser de contentement.
– Ça, c'est fait! chantonne Johanne.
Le soulagement perce dans sa voix. 
Et on fait quoi de ça? demande Lupa en pointant le doigt vers le sac qui continue de ronronner.
Mon pot de Nutella va y passer...
On pourrait peut-être l'emmener à l'Enclos? suggéré-je pleine d'espoir.
Peut-être que l'Enclos existe et comme ça, je pourrais voir Simon.
Nan, tu le ramène chez toi, vous avez l'air de bien vous entendre ! On a une nouvelle recrue! claironne le Chat!
Je ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée, elle va me vider tous les placards...

vendredi 20 mai 2016

La route étroite vers le nord lointain, Richard Flanagan

En 1941, Dorrigo Evans, jeune officier médecin, vient à peine de tomber amoureux lorsque la guerre s'embrase et le précipite, avec son bataillon, en Orient puis dans l'enfer d'un camp de travail japonais, où les captifs sont affectés à la construction d'une ligne de chemin de fer en pleine jungle, entre le Siam et la Birmanie. Maltraités par les gardes, affamés, exténués, malades, les prisonniers se raccrochent à ce qu'ils peuvent pour survivre – la camaraderie, l'humour, les souvenirs du pays. Au coeur de ces ténèbres, c'est l'espoir de retrouver Amy, l'épouse de son oncle avec laquelle il vivait sa bouleversante passion avant de partir au front, qui permet à Dorrigo de subsister. Cinquante ans plus tard, sollicité pour écrire la préface d'un ouvrage commémoratif, le vieil homme devenu après guerre un héros national convoque les spectres du passé. Ceux de tous ces innocents morts pour rien, dont il entend honorer le courage. Ceux des bourreaux, pénétrés de leur "devoir", guidés par leur empereur et par la spiritualité des haïkus. Celui d'Amy enfin, amour absolu et indépassable, qui le hante toujours.

Malaisie, 1942. Le Pacifique et Singapour sont un bastion des britanniques qui n'ont pas retenu la leçon de l'épisode tragique de Pearl Harbor en 1941. Le Japon frappe vite, les britanniques ripostent beaucoup plus lentement. Singapour tombe.

On dit qu'il y a un avant et après une guerre et que cet "après" est différent si on est un simple civil, un homme politique, un riche commerçant ou un prisonnier de guerre.

Un projet pharaonique voit le jour, relier le Siam à la Birmanie pour rendre l'Asie à ses peuples et surtout pour créer une voie vers les britanniques, la voie de la dernière chance. Cette voie ferrée de la mort consumera des milliers de victimes, parmi lesquelles soixante mille prisonniers de guerre.

Dorrido Evans, double littéraire du père de l'auteur en fait partie. Le temps a passé, il a vu la fin de ce projet qui frôlait un absurde mortifère, il fait partie des survivants, de ceux qui ont la chance de pouvoir encore mettre un pied devant l'autre, d'effectuer des gestes anodins du quotidien, d'aimer une femme. On l'a érigé en héros de guerre, lui, ce médecin qui a lutté pour sauver des vies dans l'enfer des camps, lui qui n'était qu'un héros ordinaire parmi des héros tout aussi ordinaires.

Mais est-ce que ce reflet dans le miroir, cet homme désabusé qu'il entraperçoit, est vraiment le héros dont tout le monde parle, celui que tout le monde adule ?

Il ne se reconnait pas. Il a simplement survécu, rien d'autre. Il n'est qu'un homme, il n'a toujours été qu'un homme, avec ses doutes, ses peurs...

"La route étroite vers le nord lointain" nous entraîne sur le chemin des victimes, vers leurs souffrances, les privations, la faim, l'absence, la solitude, la maladie et la mort au milieu de la jungle. Le tribut est lourd et la vie bien peu de chose.

Les pages sont lourdes des cris de ces victimes, de la folie de la guerre à laquelle rien ne résiste, sauf peut-être l'amour. Celui, interdit, déraisonnable de Dorrigo pour Amy, la jeune épouse de son oncle, cet amour qui le hante encore, alors qu'il est pourtant étendu auprès d'une autre.

C'est un récit magistral que nous sert Richard Flanagan, un récit porté par le coeur, porté par les tripes. La langue est d'une précision chirugicale et plonge dans le coeur des personnages, sonde leurs âmes. Il n'y a rien de blanc ou noir, l'on doit apprendre à vivre ensemble malgré nos différences.

Rien de blanc ou noir donc, sauf peut-être l'horreur de la guerre qui prend, dans son cheminement vers ce nord lointain, une dimension universelle.

La dernière page tournée, une certitude s'est lovée dans mon âme, celle d'avoir vécu ces mots tantôt arides, tantôt riches, tantôt durs, tantôt doux, au plus profond de mon coeur, celle d'avoir été marquée au fer rouge.


Merci « Au Prix Relay des Voyageurs » pour ce moment de lecture !

mercredi 18 mai 2016

Les rêves sont faits pour ça, Cynthia Swanson


Une nuit, Kitty rêve qu’elle se réveille dans une chambre inconnue. Auprès d’elle, un homme qu’elle ne connaît absolument pas mais qui l’appelle Katharyn, et deux petits enfants qui l’appellent maman mais dont elle ne peut être la mère. Puis la scène s’estompe, Kitty ouvre les yeux et reprend sa vie de célibataire amoureuse des livres et libraire à Denver. Mais le rêve revient. De plus en plus souvent. De plus en plus puissant…

On dit que le rêve peut être une forme d'échappatoire, un moyen d'évasion, conscient ou non, qui nous permet de nous évader, d'effacer une situation ou une vie qui devient lourde à porter. Effet miroir de ce que nous sommes, il nous entraîne dans un monde parallèle où l'illusion comble les manques et les blessures.

Kitty a tout pour être heureuse. Ou plutôt avait tout pour être heureuse. Un homme qu'elle fréquentait, même s'il semblait réticent au mariage, une librairie à l'image de ce qu'elle voulait, des parents aimants, une meilleure amie... Tout allait pour le mieux. Jusqu'à ce que l'homme qui partageait sa vie la quitte, que sa boutique décline et remette tout en question, et que des tensions s'installent entre elle et sa meilleure amie.

Nous sommes pendant les années 50 aux Etats-Unis. Les temps changent et évoluent très vite. Les complexes commerciaux affluent et transforment le visage des villes, les relations se modifient aussi, même si le schéma familial reste très traditionnel. Etre célibataire, une vieille fille comme on disait à l'époque, n'est pas flatteur. Quelques essais infructueux via les petites annonces se sont soldés par des échecs, même cet échange avec Lars, celui qui lui avait écrit cette si jolie lettre mais qui ne s'est jamais présenté à son rendez-vous. Et puis ses parents ont décidé de partir en vacances. Ils ont eu raison, mais l'absence se fait sentir, énormément. 

Kitty a un vide, là, au creux de la poitrine.

Et un jour, un rêve secoue sa nuit. Il y a beaucoup de similitudes avec sa vie mais ce monde parallèle ressemble davantage à un "qu'est-ce qui se serait passé si"... Tout semble idyllique, elle est aimée, elle aime, elle a une famille formidable. Mais même les rêves ne sont pas toujours teintés de rose. Certaines pièces ne s'imbriquent pas bien, il faut forcer pour les faire rentrer dans le puzzle de cette vie rêvée.

L'idée de départ, sans être originale, est intéressante et ce balancement entre rêve et réalité aurait pu être franchement captivant. Kitty est un personnage attachant, ses familles réelles et rêvées sont touchantes, sa meilleure amie plutôt amusante parfois. Mais il manque clairement un petit quelque chose, et sans doute est-ce dû à l'écriture qui aurait gagné à avoir plus de relief et de tension narrative.

L'auteure a voulu jouer avec nos nerfs, nous déboussoler, nous emmener vers un ailleurs oscillant où les frontières du rêve et de la réalité sont floues, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'elle n'y est arrivée que partiellement. 

Ce livre a des qualités, l'une d'entre elle d'ailleurs est qu'il s'agit d'un livre facile, dans le bon sens du terme, mais peut-être est-il trop facile justement. J'aurais aimé un récit plus nébuleux, moins évident, dans lequel j'aurais eu besoin de repérer les indices, ou tout n'aurait pas coulé de source, un récit avec lequel j'aurais dû lutter pour bien faire la distinction entre les mondes.

Malgré tout, ce fut un agréable moment de lecture. Je pense que ce roman ne me laissera pas un souvenir impérissable, comme ce fut le cas de "Avant d'aller dormir" par exemple qui m'avait littéralement fascinée, mais j'ai aimé suivre les aventures de Kitty/ Kathryn  et c'est finalement l'essentiel.

mardi 10 mai 2016

Envoyée Spéciale, Jean Echenoz

Constance étant oisive, on va lui trouver de quoi s'occuper. Des bords de Seine aux rives de la mer Jaune, en passant par les fins fonds de la Creuse, rien ne devrait l'empêcher d'accomplir sa mission. Seul problème : le personnel chargé de son encadrement n'est pas toujours très bien organisé.

Au tout début de ma lecture, je me suis demandée dans quoi je m'étais embarquée. Un ton pince-sans-rire, une multitude de personnages, une aventure un peu déjantée... Dans quel monde étais-je tombée ? 

Déstabilisée, j'étais complètement déstabilisée.

Malgré ce sentiment, le style m'a, dès le début, donné envie de poursuivre ma lecture. Les phrases sont complexes et très travaillées, l'humour omniprésent, les mots disent sans dire ou disent ce qu'ils paraissaient ne pas vouloir dire.

Le poisson était ferré, je voulais en savoir plus.

Et me voilà prise au jeu de ce roman d'espionnage et de ces situations complètement improbables. Jean Echenoz a l'art de l'image, il emmène la métaphore vers les sommets, sans jamais se départir d'une élégance rare. Le mot est précis, l'image colorée, les apartés avec le lecteur succulents, et les digressions parfois complètement loufoques, mais toujours très bien menées. L'histoire en elle-même ne serait rien sans cette plume au caractère bien trempé, elle porte l'histoire, elle est l'histoire.

L'auteur observe, décrit, y va de son commentaire. Tout semble normal malgré son anormalité. Passer de la Creuse à la Corée, réfléchir sur l'industrie automobile, sur la fonction des jambes des femmes (oui, oui), sur l'utilité du petit doigt (oui, oui bis), qui s'en étonne ?

Vous l'avez compris, j'ai apprécié cette lecture, je l'ai même savourée et n'ai pu réprimer bon nombre de sourires. Le seul bémol vient de la galerie de personnages, bigarrée mais très vaste et avec laquelle je me suis égarée parfois.

Je crois n'avoir jamais rien lu de Jean Echenoz, c'était notre première rencontre et cette rencontre en appellera d'autres, c'est une évidence.


Merci « Au Prix Relay des Voyageurs » pour cette découverte !

dimanche 8 mai 2016

Mon médecin et les highlanders, 2/3

Diane Lacombe, Le clan Mallaig, tome 1, l'hermine

Écosse, 1390. Pour éviter un mariage détestable qu'on lui impose, la belle Lite MacGugan se résout à épouser Baltair MacNèil, qu'elle sauve ainsi de la potence. Tandis que Baltair, embauché comme mercenaire par différents seigneurs, assiste à la déroute de Robert III dont le règne est malmené par les luttes entre nobles, Lite se consacre corps et âme à l'expansion du domaine de sa belle-famille, à Mallaig, tout en tenant son époux à distance. C'est pourtant elle qui, bien des guerres et des trahisons plus tard, tentera par tous les moyens d'empêcher la perte de Baltair...
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Toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure coïncidence.
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La porte de la salle d'attente s'ouvre dans un grincement. La décoration n'a pas changé depuis ma première consultation, toujours ces mêmes posters jaunis par le temps qui nous mettent en garde contre les MST, l'ennemi public numéro 1 de ce cabinet médical. 

Assis en face de la porte d'entrée, est installé Monsieur-mon-voisin-de-l'autre-jour. Le buste penché en avant, il se tient le ventre. Son teint un peu cireux et ses cernes qui ont creusé des ravins sous ses yeux m'incitent à m'assoir à plusieurs sièges de lui, non sans le saluer au préalable, une question d'éducation bien sûr.

Je suis assise depuis à peine une poignée de secondes que s'ouvre la porte à la volée. Cette fois-ci, elle n'a pas eu le temps de geindre en grinçant et a poussé un hurlement de douleur en se fracassant contre le mur. La mère de famille et sa progéniture entrent à leur tour. Le carnet de rendez-vous de mon médecin est un peu répétitif. Le rejeton pointe aussitôt son doigt vers Monsieur-mon-voisin-de-l'autre-jour qui grimace, je ne sais pas si de douleur ou si de mécontentement.
– C'est le monsieur qui pète! s'exclame le bambin.
La maman plaque aussitôt la main sur sa bouche et le réprimande pour son attitude.
– Mon chéri, je t'ai déjà dit qu'on ne dit pas ça, ça n'est pas poli! Il faut que tu réfléchisses avant de parler.
– Mais maman, c'est le monsieur qui pue, tu as même dit qu'il sentait encore plus mauvais que Papa !
Monsieur-mon-voisin-de-l'autre-jour bascule en arrière, son visage devient rouge, il plisse les yeux jusqu'à les fermer complètement, ses joues se gonflent, et... 

Suspense insoutenable...
Je n'ai même pas une écharpe sous la main pour enfouir mon nez de dedans, au cas où... 
Roulements de tambours... 
Est-ce que j'ai un mouchoir en papier au moins  ?
 3, 2, 1.... 

Rien.
Rien du tout.
Ouf et re ouf.

Son visage se détend, il esquisse un sourire. Nous avons frôlé la catastrophe.

La porte du bureau de mon médecin s'ouvre à son tour, il me fait signe que c'est à moi. Je me lève, et à peine l'a-t-il refermée derrière moi que nous entendons un bruit que la décence m'empêche de rapporter, mais qui vaudra un  : "Maman, ouvre les fenêtre, on va mourir étouffés  !" désespéré auquel répondra un "Mets-toi en apnée mon chéri, comme à la piscine" porté par l'urgence.

Je bénis la ponctualité de mon médecin. 

Je prends place en face de lui. Le squelette est toujours là, ombre vide derrière son fauteuil. Seule variation, sa tête d'albâtre arbore maintenant fièrement une casquette du Real Madrid. L'effet est saisissant. 

Il me fixe toujours aussi bizarrement.

– Alors madame, comment vous sentez-vous cette semaine? me demande mon médecin, affable.
Je suis sur le point de lui demander s'il ne pourrait pas bouger son squelette pour qu'il arrête de me regarder, mais je me retiens au dernier moment. Ce n'est pas une bonne idée, mon médecin risquerait de marquer ça dans son carnet. Sa plume, en suspens dans les airs, est déjà prête à bondir sur le papier. 
– Bien, je me sens beaucoup mieux, lui réponds-je d'une voix assurée.
– C'est une bonne nouvelle ça  ! Le traitement a fait effet alors  ?
Je n'ose pas lui dire que j'ai vaguement omis de le prendre, et que par conséquent, étant donné que mon corps n'a ingéré aucune des molécules prescrites, l'amélioration de mon état ne lui est en rien redevable. CQFD. M'est avis que ce CQFD-là ne va pas lui plaire, je préfère donc me taire.

Sans m'en rendre compte, je commence à me ronger les ongles. Le tic tac de son horloge rythme le silence qui s'est abattu sur nous. Mon médecin m'observe en silence et je décide de me lancer. 
–  En fait, j'ai trouvé un livre vraiment bien sur les highlanders.
Il pousse un gros soupir et je l'entends marmonner   : "Encore..."
Il sort son bloc d'ordonnance d'un tiroir et le place juste à côté de son carnet.
– Je vous écoute.
– Pardon  ?
– Allez-y, racontez-moi, que je cerne un peu mieux le problème.
Je secoue la main devant lui.
– Oh, il n'y a pas grand chose à dire. C'est vraiment un chouette roman. Une histoire riche, mouvementée qui ne se contente pas d'une romance un peu trop mièvre, un vrai contenu historique, de l'action, des scènes difficiles et des highlanders, plein de highlanders...

Je suis en train de me trémousser sur mon siège quand, soudain, la tête du squelette se tourne très légèrement vers moi, comme s'il essayait de mieux me voir. Je m'arrête aussitôt. Plus rien. Il ne bouge pas. Mais comment un squelette pourrait-il bouger de toute façon, c'est ridicule ! Je n'ai même pas vu une mouche se poser dessus. Un dernier coup d'oeil me convainc de l'absurdité de ce que j'ai imaginé. Evidemment que le squelette ne bouge pas...

Je m'installe plus confortablement dans le fauteuil et me prépare à reprendre là où je m'étais arrêtée quand mon médecin m'interrompt d'un geste. Son air est grave malgré ses joues rougies. Elles lui donnent un côté débonnaire qui met en confiance.
– Avant toute chose, donnez-moi le titre.
Je cligne plusieurs fois des yeux, sans comprendre.
– C'est nécessaire pour le traitement, se justifie-t-il, il me faut tous les détails pour l'ajuster.
Ça parait logique. Beaucoup moins logique par contre, le squelette vient encore de bouger, j'aurais juré que la casquette a glissé d'un demi-centimètre sur la gauche de son crâne.

Tic-tac, Tic-tac. De nouveau le bruit de l'horloge. Tic-tac, tic-tac.

Mon médecin fronce les sourcils.
–  Ça vous arrive souvent  ?
J'ouvre la bouche puis la referme. Je ne sais pas de quoi il me parle. Cette fichue casquette est toujours sur le crâne du squelette, au même endroit.
– Vos absences, ça vous arrive souvent  ?
Mais de quoi me parle-t-il ? Je n'ai pas d'absences. Pour le lui prouver, je réponds à sa question initiale, sans quitter du regard la casquette du Real.
– Le clan de Mallaig, le tome 1, l'Hermine de Diane Lacombe, une auteure canadienne.
Mon médecin se retourne pour voir ce que je fixe comme ça, puis, comme il ne voit rien d'étrange, commence à noter consciencieusement toutes ces informations sur son bloc d'ordonnances avant de revenir à son carnet.
–  Canadienne  ? Très bien ça, très bien. C'est bien le Canada, c'est inoffensif en général. Continuez je vous prie.

Je ferme les yeux pour me soustraire aux orbites vides que j'ai en face de moi et laisse les émotions que j'ai ressenties pendant ma lecture me rassurer. Mes épaules se détendent peu à peu.
– Les personnages sont vraiment très, très travaillés et la réalité de l'époque pas du tout édulcorée. L'auteure a fait un gros travail de recherches, et n'a pas hésité à évoquer certaines situations qu'en général on évite dans ce type de roman. Elle aborde d'ailleurs une période que l'ont voit peu, le 14è siècle, normalement on préfère le 18è. Il y a aussi un vrai travail sur la langue, parfois difficile d'accès d'ailleurs parce que le vocabulaire utilisé est un fidèle reflet de l'époque. On a l'impression qu'elle s'est lancée dans une reconstitution historique. La romance est d'ailleurs mince, ce n'est pas elle qui importe. Elle est là, en fil conducteur, en toile de fond, mais jamais dans les excès habituels.

Il lève son stylo pour reprendre la parole.
– Tout ça me semble très bien, vraiment très intéressant, mais je vous trouve encore très fatiguée. Vous avez des cernes et le teint un peu pâle.
Normal si j'ai des cernes, lire 400 pages en une nuit, ça vous fatigue une femme, mais c'est une fatigue saine.
– Je me sens vraiment bien! C'est grâce à l'héroïne, Lite. Elle n'a pas froid aux yeux et est bien décidée à se faire entendre dans une société où les femmes ne sont en général que des potiches. Bon, parfois, j'avais envie de lui mettre une bonne paire de claques histoire de lui remettre les idées en place, mais l'auteure ne nous fait jamais perdre de vue que tous ses choix sont justifiés par l'époque. Et Baltair...
Je pousse un long soupir.
– Ah... Baltair... C'est le highlander par excellence. Beau malgré un physique imparfait, intelligent, droit, avec un certain code de conduite... Un peu barbare aussi, mais c'est un highlander. Et il porte un kilt !

Je fais un clin d'oeil à mon médecin. Minute papillon  ! Je lui ai fait un clin d'oeil ? Mais il va croire que je lui fais une proposition indécente, ou pire encore... 

Je me mets debout et discrètement, je croise les doigts derrière mon dos et prie pour qu'il n'ait rien vu de mon errance oculaire.
– Il supporte beaucoup de choses de Lite, qui est quand même parfois un peu exaspérante, mais non, il reste digne et lui laisse le temps nécessaire. Ahhh, Baltair. On dirait presque Jamie  ! En un peu plus rude quand même.
– Jamie  ?
Une petite lueur dans les yeux du squelette vient de s'allumer. Oh, ça a duré à peine une fraction de secondes, mais je suis sûre que je l'ai vue, même si techniquement n'est pas possible étant donné qu'il n'a pas d'yeux.

Mon médecin a recommencé à écrire frénétiquement mais je n'y prête pas vraiment attention. Je me tapote les lèvres avec mon index.
–  D'ailleurs, je verrais bien Colin Firth pour jouer le rôle de Baltair. Le Mr Darcy de mon coeur.
Il lève la tête de ces notes, et j'ai l'impression qu'avec le squelette, tous les regards sont braqués sur moi.
–  Je ne vois pas ce que Mr Darcy a à voir avec un highlander. On parle bien du Mr Darcy de Jane Austen  ?
Je me laisse tomber sur ma chaise.
– Baltair c'est un peu un Mr Darcy en kilt. Ce n'est pas l'homme parfait, il a des failles, des défauts, mais c'est quand même l'homme parfait, si vous voyez ce que je veux dire. Et puis Colin serait idéal, pas comme le Matthew Mc-Machin-truc du Chat du Cheshire.
– Vous pouvez m'expliquer ce qu'Alice au Pays des merveilles vient faire là-dedans  ?
Je lui jette un coup d'oeil, perplexe.
– Rien du tout, pourquoi est-ce que vous me parlez d'Alice au Pays des Merveilles  ? Il n'y a pas de highlander dans Alice au Pays des Merveilles.
C'est mon médecin qui devrait consulter, pas moi.
– Ce n'est pas moi qui vous en parle, c'est vous qui m'en parlez.
–  Mais non ! m'offusqué-je pendant qu'il reprend le roman qu'il a entrepris d'écrire dans son carnet depuis mon arrivée.

Soudain, je comprends sa méprise et lui souris victorieusement.
– Le Chat du Cheshire est une copine  ! Elle est très gentille, mais elle a mauvais goût. Elle n'aime pas Colin, vous voyez...
– Vous avez une amie qui s'appelle le Chat du Cheshire. Intéressant ça... Elle souffre elle aussi de troubles  ?
Si préférer Matthew à Colin n'est pas un trouble, je ne sais pas ce que c'est...

Sa plume continue de gratter le papier de son carnet. Il reprend  :
– Je vous trouve encore trop agitée, et en plus, vous avez de drôles de personnes dans votre entourage. Reprenons, vous dormez toujours mal la nuit, vous tenez des propos... euh... parfois incohérents, vous passez du coq à l'âne... Vous divaguez un peu aussi. Bon, il va falloir passer à de la médication lourde cette fois-ci, et on se revoie dans quinze jours pour faire le point. Il faut que vous dormiez surtout, c'est important.

Il arrache la première page de son bloc d'ordonnances et la plie consciencieusement avant de la fourrer dans la poche de son pantalon.
Il m'en tend une autre qu'il vient de remplir. 
– Et commencez dès ce soir, deux cachets. Il ne faut pas prendre ça à la légère.

La porte se referme derrière moi et j'entends mon médecin qui dit : "Oui mon petit sucre d'orge, elle est revenue. Oui, ma petite gaufre à la chantilly, j'ai noté le titre, ne t’inquiète pas"