jeudi 12 septembre 2013

Laitier de nuit, Andreï Kourkov



Avez-vous déjà entendu parler de "l'antifrousse"? Ce breuvage made in Ukraine qui permet de vaincre sa timidité, de triompher de ses ennemis, de surmonter toutes les épreuves. Un remède pour lequel on tuerait père et mère, n'est-ce pas ? Mais là, c'est son inventeur, un estimable pharmacien de Kiev, qui est assassiné. Ensuite ? Ensuite tout se complique. Dans cette fable échevelée, les chats ressuscitent, un somnambule se fait suivre la nuit, un député ambitieux exige un lait très spécial, une organisation secrète manipule les braves gens... Trafics et tentatives de corruption s'enchaînent aussi vite que les énigmes (et les rasades de gnôle à l'ortie!) pour tisser peu à peu la trame, non seulement d'un roman savoureux, mais d'un pays tout entier.

Je connais peu la littérature russe. Hormis Dostoïevski, je ne crois pas avoir déjà croisé la route de la Russie, et encore moins de l’Ukraine. Alors, lorsqu’une amie me propose Laitier de Nuit d’Andreï Kourkov, je me dis, pourquoi pas ? La découverte de nouveaux auteurs est un joli défi, et mon esprit aime caresser d’autres cultures.

Inutile de laisser planer le suspense, je me suis pris une claque magistrale en lisant ce livre. Cela va au-delà de la simple découverte : sitôt la dernière page tournée, j’ai commandé ses autres ouvrages disponibles, avide de poursuivre cette première rencontre.

Laitier de nuit est un ouvrage atypique : l’éventail des personnages est vaste et coloré. Le maître-chien qui travaille à l’aéroport de Kiev, et qui entretient une relation particulière avec son chat, Mourik, qui lui-même est revenu à la vie ; la mère célibataire, la fille-mère comme on l’appelle car elle n’a pas de mari, qui prend tous les matins le bus qui rallie son village à la capitale ; la veuve du pharmacien qui refuse de clore l’histoire avec son mari, et la fait durer de la manière la plus improbable qui soit… Et quelques autres encore…

Tous ces personnages, aux origines différentes, qui finissent par se croiser au gré de l’humeur du destin, et qui, effet domino oblige, influenceront la vie des autres… Tous ces personnages m’ont touchée à leur manière, me faisant passer de l’attendrissement à l'énervement en moins de temps qu'il ne faut pour passer à la page suivante.

Chaque chapitre nous fait pénétrer dans leur intimité : nous rejoignons Irina au village, ou Dima sur son lieu de travail ou dans son garage. Dans chacun de ces chapitres, le burlesque pointe le bout de son nez nous plongeant dans des situations tellement improbables, incongrues, mais paradoxalement tellement cohérentes.

« Ai-je bien lu ? », « C’est vraiment çà ? », voici quelques questions récurrentes qui ont jalonné ma lecture. Et le cynisme de l’auteur de reprendre le dessus, et moi de ne pouvoir réfréner cette lecture, portrait au vitriol de l’Ukraine, cette « fille-mère » comme l’appelle l’un des personnages, ce pays en construction après son indépendance de 1991.

Malgré les difficultés de la vie, la corruption, la part importante de la religion, c’est un pays au peuple attachant qui nous est livré, parce que, comme le dit un conducteur, le « jour où les gens ne s’entraideront plus, j’irai moi-même me flanquer à la flotte. Peut-être que tu me tireras de l’eau ce jour-là ! Qui sait ?! »

Décapant…Emouvant…J’ai adoré…

8 commentaires:

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    1. C'est un livre qui marque... Une superbe rencontre...

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  2. Merci pour cette jolie chronique qui ne peut que nous convaincre ;-)

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    1. Il est des ouvrages qui laissent une empreinte, de ceux pour lesquels tu te dis, une fois la dernière page tournée, "ça valait le coup...merci...". Il en fait partie pour moi...

      Merci encore de ton passage!

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    2. Oui et puis parfois, tu voudrais qu'il ne se termine jamais!

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    3. C'est tout à fait çà! Même si pour celui-ci, j'ai eu vraiment un sentiment d'aboutissement à la fin. Mais il m'a donné envie de poursuivre / prolonger l'expérience Kourkov, donc d'une certaine façon que ça ne se termine pas!

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  3. J'aime bien le cynisme, et j'aime bien quand on est surpris par ce qu'on lit :)

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    1. L'absurde, ou ce qui semble absurde pour devenir finalement très cohérent côtoie le cynisme exacerbé de l'auteur. Je suis allée de surprises en surprises tout au long de l'ouvrage. Si tu aimes ces deux ingrédients, alors ça devrait te plaire!

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