lundi 8 février 2016

Le goût du large, Nicolas Delesalle

"Le temps : tout était là, dans ces cinq lettres, cette simple syllabe. J'allais soudain en être riche, ne plus courir après, le nez rivé sur l'ordinateur, le téléphone. Pendant neuf jours, j'allais devenir un milliardaire du temps, plonger mes mains dans des coffres bourrés de secondes, me parer de bijoux ciselés dans des minutes pures, vierges de tout objectif, de toute attente, de toute angoisse. J'allais me gaver d'heures vides, creuses, la grande bouffe, la vacance, entre ciel et mer."

De l'inaccessible Tombouctou à la mélancolique Tallinn, entre une partie d'échecs fatale quelque part dans un hôtel russe et un barbecue incongru à Kaboul, des clameurs de la place Tahrir au fond d'un trou, dans l'Aveyron... C'est le roman d'une vie et de notre monde que raconte Nicolas Delesalle, le temps d'une croisière en cargo.

En général, lorsqu'on songe à une croisière, ce n'est pas l'image du cargo replet de conteneurs qui nous vient à l'esprit. Non, ce serait plutôt le paquebot grand luxe avec sa piscine sur le pont, ses joyeux animateurs et son brouhaha étourdissant. Pas l'idéal pour nous retrouver face à notre reflet, pour prendre le temps de la réflexion. Il ne me serait d'ailleurs jamais venu à l'idée de partir en voyage sur un cargo, cruelle erreur de ma part, parce que ce type de périple me conviendrait bien plus qu'une croisière classique. Avoir le luxe de voir défiler les secondes, le luxe de pouvoir se remémorer, le luxe de savourer les choses infimes, les rencontres, tout ce que le tumulte de la vie ne permet pas. 

J'ai donc embarqué avec Nicolas Delesalle sur le cargo MSC Cordoba, « petit » porte conteneurs de juste 1269 boîtes hermétiquement fermées dont l'équipage bigarré ignore tout du contenu. Sa mission, amener sa cargaison à bon port, vivre la mer, la cohabitation avec les diverses nationalités et attendre avant de rentrer chez soi. Rien de plus. Mais tout cela malgré tout.

Au gré des flots, de ces voix qui s'élèvent sur le pont, dans la soute, de ces échanges avec des personnalités improbables, l'auteur va plonger dans son propre esprit pour ouvrir les conteneurs de sa mémoire.

L'image est belle, et ô combien vraie. Et c'est ainsi que, suivant le fil de ces boîtes que l'on ouvre, Nicolas Delesalle nous entraîne, dans ces courts récits qui ressemblent à des nouvelles, dans son vécu de journaliste. La plume est sûre, le mot est juste et l'émotion omniprésente. 

Armé d'un humour qui évite tout pathos, l'auteur se remémore tantôt certains aspects marquants de son expérience, tantôt des anecdotes qui lui ont été racontées. Le regard est lucide sur les drames humanitaires, politiques qui l'ont envoyé fouler de sol de la Côte d'Ivoire, de l'Ukraine ou de la Syrie et laisse au lecteur entrevoir ce qu'il veut y voir. Je suis convaincue que ce que j'ai entraperçu pendant la partie d'échecs ne sera pas la même chose que ce qu'aura vu un autre lecteur. Et nos deux lectures seront complémentaires, tout simplement parce qu'elles seront portées par les émotions ressenties.

Ce n'est pas un pamphlet politisé, un de plus, qui s'offusquerait de la pauvreté ou de la violence. C'est le regard d'un homme, profondément humain, qui se rend compte qu'il n'est que bien peu de choses face à un monde en branle, où la politique, le journalisme si rapide avec les nouvelles technologies, oublient parfois que derrière les drames, ils y a des hommes que la misère frappe de plein fouet.

J'avais déjà eu un aperçu du talent de Nicolas Delesalle dans Un parfum d'herbe coupée que j'avais adoré, et ce talent se confirme après cette lecture. J'ai suivi le fil d'Ariane des conteneurs avec un plaisir infini, chaque chapitre refermé en appelait un autre, différent, mais tout aussi intimiste. Les mots sont simples, sans fioriture, mais font mouche.

C'est décidément un auteur que je vais suivre...


12 commentaires:

  1. Je pense que je suis trop jeune pour ce genre de livre, plus tard peut-être...

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    1. Je pense que pour ce type de livre, ce n'est pas une question d'âge. L'écriture est simple, mais efficace, le sujet universel. Du bon contemporain.

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  2. Ca fait longtemps qu'il faut que je découvre cet auteur, et je ne l'ai toujours pas fait !

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  3. Je n'ai pas tellement le pied marin, mais je pourrais faire une petite exception pour ce roman, si l'occasion de m'y embarquer se présente ! Merci :)

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    1. Si tu peux embarquer dans ce périple, fais-le. Je n'ai pas le pied marin non plus, mais j'ai adoré le voyage!

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  4. Le résumé et ton avis m'ont convaincu : je vais lire ce roman!!

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  5. Coucou Céline :D
    Déjà le titre me donne envie de découvrir ce roman...
    "l'auteur va plonger dans son propre esprit pour ouvrir les conteneurs de sa mémoire" - j'adore!
    J'ai vraiment envie de ce livre <3
    Quel super billet!
    Bisous

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    1. J'aime vraiment beaucoup ce que fait cet auteur, il a le don de toucher le coeur, de renvoyer vers notre intime.

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  6. J'ai un peu du mal avec les romans contemporains mais je dois dire que ta chronique intrigue. Tu me fais toujours découvrir des romans que je n'aurai jamais découvert par moi-même :)

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    1. Avec les romans contemporains, c'est souvent à Pile ou face. Pour moi, cet auteur est une valeur sûre!

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