lundi 7 septembre 2015

Profession du père, Sörj Chalandon

« Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Eglise pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider. 
Je n’avais pas le choix. C’était un ordre.J’étais fier. Mais j’avais peur aussi…

13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet. » 
Quand on évoque la folie, la compassion est souvent de mise. La peine que l'on ressent pour la personne qui souffre de démence, l'oubli qui assiège son esprit, la perte du moment présent, de tout ce qui construit l'individu... La folie est l'amante exigeante de celui qui en est atteint, elle le protège contre la lucidité qui le briserait. Il n'est conscient de rien. 

Mais son entourage... Son entourage subit ses lubies, subit sa folie... subit cette personne qui n'a de commun avec celui ou celle que l'on aime que le physique. L'esprit n'est plus. Et cela peut être destructeur, très destructeur quand l'entourage n'a pas conscience de ce fantôme qui hante l'esprit.

C'est cette lente descente aux enfers que nous présente Sörj Chalandon. Pas celle du père qui évolue dans son propre monde, même si les mots sont suffisamment lourds de sens pour que l'on comprenne dans le détail de quoi est fait ce monde, mais celle de son fils, Emile, le narrateur.

Emile n'est qu'un enfant quand l'état de son père le percute de plein fouet. Son père n'est pas comme les autres, il a eu mille vies. Agent secret, conseiller du président, footballeur, pasteur... Comment ne pas le croire ? C'est son père. Et un enfant doit croire son père, l'idolâtrer, surtout quand celui-ci a entre ses mains une mission d'une telle envergure, à laquelle il lui demande de participer. Emile est suffisamment grand maintenant, il doit s'engager, aller au devant de son destin, suivre les traces de son père. Emile travaillera pour l'OAS, l'Organisation de l'Armée Secrète qui défend la présence française en Algérie en utilisant tous les moyens pour arriver à ses fins, y compris le terrorisme. 

La pression que portent les épaules d'Emile est lourde, mais c'est son père, qui, même s'il est parfois -souvent- violent, lutte pour un idéal, une noble cause. Alors Emile s’exécute, le cœur plein de la confiance de son père, la peau bleue de ses coups.

Mais la folie est contagieuse, ou du moins modifie le tempérament des gens. Emile subit celle de son père, ses mensonges, sa tyrannie, son mépris aussi, et dans un effet miroir, il reproduit le même schéma chez Luca, un camarade de classe fraîchement arrivé dans l'école. Jusqu'à ce que tout cela aille trop loin. Les jeux d'enfants franchissent une limite à laquelle son père ne l'avait pas préparé. 

Sa mère vit, elle aussi, à sa manière, cette folie. Elle se mure dans le silence, ombre à la maison qui viendra gratter à la porte de l'armoire dans laquelle est puni son fils. Elle s’adapte, fait tout pour ne pas contrarier son mari. "Tu connais ton père". Ces mots qui justifient, ces mots qui excusent, ces mots qui mettent un voile sur l'horreur.

Quel roman ! Mais quel roman ! J'ai cessé de respirer à plus d'une reprise tellement j'ai haï ce père capable de faire endurer les pires atrocités à son fils. J'ai détesté la mère également, Denise et ses « Tu connais ton père », comme si cela justifiait tout. A trop fermer les yeux, elle finit par être atteinte du même mal et ne verra pas ce qui se passe sous son toit, complice silencieuse de la folie.

Rarement un récit m'avait autant touchée... Les mots sont forts de simplicité et de sincérité, et ont une résonance autre quand on sait que cette histoire est celle de l'auteur. Quelle force il a fallu pour surmonter tout cela, pour se construire dans ce monde qui détruit ! 

Un véritable coup de cœur...

Merci aux Editions Grasset pour cette lecture!

27 commentaires:

  1. AH oui ça a l'air très différent de ce qu'on retrouve habituellement et les thèmes abordés ne sont pas forcément les plus simples. tu m'as rendue curieuse et pourtant j'avoue que je ne me serait pas forcément arrêtée dessus

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    1. Les thèmes abordés sont vraiment délicats. Et le sont encore plus quand on sait que tout est vrai...

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  2. Il me tarde de le lire vu ta chronique ! :)

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  3. Je n'osais pas trop y aller, mais je le note :) !

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  4. Comme tu vantes bien ce roman! Au début, je me disais bof mais, après ta chronique, je dois dire que je suis tentée! Hum... Comme si ma PAL n'était pas assez grosse! ;)
    A bientôt!

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  5. Quel courage il faut de la part d’un auteur pour se mettre ainsi à « nu » et raconter l’histoire de son père, surtout quand elle est aussi terrifiante. Il faut j’imagine une capacité de recul émotif sur les années et les événements. À lire ton billet je ressens déjà un inconfort, une tristesse pour ce petit enfant qui a dû énormément souffrir. Dans le cadre de mon travail il m’est arrivée souvent d’avoir à côtoyer la « folie ». Si déjà la définir est un enjeu de taille, en être témoin direct plonge souvent les gens dans leur propre folie, c’est un enfer que tu décris tellement bien. Je pense à Romain Gary et son roman autobiographique « La promesse de l’aube », qui raconte sa relation à sa mère. Et quand on sait que Gary s’est enlevé la vie… Ton roman me parle énormément. Il vient tout juste de sortir en librairie à Montréal, je vais y jeter un coup d’œil et sans doute me laisser tenter…

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    1. On sent le vécu de l'auteur autour de tout cela. La folie est un protagoniste, mais ce sont surtout les dommages collatéraux qui sont sur le devant de la scène. Comment ne pas croire son père? Celui qui devrait être un héros... Et qui, d'après ses dires, l'est... Il a combattu... Il est le conseiller du président. Il lui écrit, régulièrement. Et la mère? Presque aussi détestable. Le silence qui oppresse... le silence qui maltraite. Une lecture vraiment poignante, si tu as l'occasion, n'hésite pas!

      Montréal? Je suis fascinée par cette ville, elle m'attire beaucoup! J'adorerais y aller!

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  6. Alors si jamais tu viens un jour, il me fera plaisir de te faire visiter la ville... ;-)

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    1. Tu sais que cela va peut-être arriver l'année prochaine!! Mon mari devra aller à Montréal plusieurs fois dans l'année pour le boulot, et si on arrive à s'organiser pour faire garder notre grande famille animale, j'espère pouvoir l'y accompagner!

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  7. Quel livre mais surtout quelle vie !
    Tu as su trouver les, bons, mots pour me donner envie de découvrir ce livre et surtout cette vie.

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    1. C'est vraiment un très, très bon ouvrage... Comme tu le dis, quelle vie!

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  8. J'avoue que cette histoire a l'air d'être une lecture dérangeante et pourtant j'ai souvent des coups de cœur avec ce genre de livre, lire les grands drames de la vie fait souvent réfléchir! Dans le même genre (ou presque), j'avais été très marqué par Des bleus au cœur de Louisa Reid et Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan!

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    1. Je ne les ai pas encore lus, mais j'ai Rien de s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan. J'hésite encore à m'y plonger, j'ai peur d'être "retournée" par le récit.

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    2. C'est un récit de vie pas facile à lire.Beaucoup de fois, je me suis demandé comment autant de malheur peut touché une famille. Mais c'est une très bonne lecture et il fait beaucoup réfléchir!

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    3. Je vais le sortir de ma PAL alors!

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  9. Ouille ! Le genre de livre dont on ne ressort pas indemne ^^ Je ne sais si c'est ce qu'il me faut en ce moment, mais je le note pour une période plus favorable, merci :)

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    1. Effectivement c'est un roman très dur, donc pas pour tous les moments. Mais il est à découvrir.
      Je t'embrasse fort pour remonter ton petit moral si besoin!

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    2. Rien que de lire ton petit mot réconfortant, ça va tout de suite mieux !!! Merci <3

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  10. Le sujet à l'air assez difficile mais ma foi ton avis me donne fortement envie de le découvrir. C'est une lecture qui semble haletante!

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    1. Une vraie lecture coup de poing! Ce roman m'a donné envie de découvrir d'autres récits de l'auteur...

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