samedi 21 novembre 2015

Mon traître, Sorj Chalandon

Il trahissait depuis près de vingt ans. L’Irlande qu’il aimait tant, sa lutte, ses parents, ses enfants, ses camarades, ses amis, moi. Il nous avait trahis. Chaque matin. Chaque soir…
Les rues de Belfast résonnent encore de la poudre qui explose, des pieds qui battent le pavé, de ces corps qui saignent, de ces yeux d'où tombent des cascades de larmes... Ces yeux qui pleurent cette Eire qu'imagine Antoine, cette vieille femme aux cheveux blancs et au fort caractère qui lutte pour son identité, ces yeux qui rient au son du gaélique et qui se tordent de colère devant ces anglais qui défilent, conquérants contre ce peuple opprimé.

C'était hier, au détour du calendrier. Ce conflit s'étirera pendant plus de vingt ans, jusqu'à l'aube des années 2000.

Antoine est luthier et parisien. Sa femme l'a quitté. La monotonie jalonne sa vie jusqu'à ce qu'il ne découvre une photo de James Connolly qui fut d'une des figures de la résistance irlandaise contre les anglais pendant la fin du 19e siècle. Nous sommes en 1974. Ce portrait en noir et blanc, collé dans le fond d'un étui à violon, va donner à sens à son existence beaucoup trop terne. Une conversation avec un client, une impulsion et le voilà en Irlande, à la rencontre de cette vieille femme à la chevelure blanche.

Elle est partout autour de lui, autour de ces enfants qui jouent, autour de ces enfants qu'on enterre, sur ce mur que l'on marque de graffitis, dans sourire de Cathy et Jim O'Leary qui l’accueillent les bras ouverts, lui le luthier de Paris.

Et c'est en Irlande que le luthier devient homme. « Fils ». Ces mots s'impriment dans son cœur. « Regarde comment on fait ». Et dans les urinoirs d'un bar irlandais, Antoine devient Tony. Antoine est frappé à l'âme par Tyrone Meehan, ce leader irlandais emblématique et charismatique, incarnation vivante de la cause, et qui lui apprendra à uriner comme un homme. La vie est faite de petits moments insignifiants mais déterminants et celui-ci en est un. Une histoire d'hommes. La naissance d'une amitié.

Antoine-Tony rentre à Paris profondément bouleversé. L'Irlande lui a offert ce qui lui manquait, l'amour familial de ceux qui pleurent les leurs mais gardent le menton levé et ne baissent pas les yeux, l'amour d'une terre qui vous reçoit les bras ouverts et vous donne tout ce qu'elle a, même si elle n'a rien.

Le jeune homme se construit sous nos yeux, bouton fragile qui éclot peu à peu pour devenir un homme engagé dans une cause.

Mais le monde n'est jamais ni noir ni blanc. Il est fait de multiples nuances de gris. Et c'est ainsi que Tyrone, le Tyrone pilier du combat est en réalité un traître qui fournit des renseignements à l'Angleterre depuis près de 20 ans. Mais où s'arrête sa traîtrise ? Est-il seulement le traître de l'IRA ou est-il aussi le traître d'Antoine? Les valeurs humaines qu'il lui a transmises, noble héritage de cette vaillante Irlande, sont-elles réelles ou n'étaient-elles finalement qu'un rideau éphémère. Qui était ce Tyrone-Denis dont il doit faire le deuil ? Leur relation était-elle sincère ?

J'avais été touchée par Profession du père du même auteur. C'est un récit auquel je pense encore beaucoup. Il en va et en sera de même pour celui-ci. Sous couvert de fiction, Sorj Chalandon mêle des touches autobiographiques, Antoine-Sorj, Tyrone-Denis Donaldson, et les mots sont d'autant plus forts.


Ce récit ne se contente pas de s'immerger dans l'histoire de l'Irlande il observe et analyse les rouages du cœur humain. Il est tellement facile de porter un jugement, de prendre position, de trancher dans le vif, alors qu'en fait, le monde n'est que dégradé, et rien n'est vraiment simple.


16 commentaires:

  1. Je note ! Il me tarde de lire d'autres livres de cet auteur, tant j'ai aimé "Profession du père" :)

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    1. Je comprends! C'est d'ailleurs Profession du père qui m'a donné envie de découvrir d'autres ouvrages de cet auteur!

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  2. J'aime énormément cet auteur, il faut que je lise celui-ci :)

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    1. Cet auteur a été pour moi l'une des révélations de la rentrée littéraire. Je ne le connaissais pas du tout, et maintenant, il me faut tous les lire!

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  3. C4est impressionnant de trouver des romans comme ça qui nous emporte. Je ne connaissais pas celui ci

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    1. J'adore cet auteur... Sa plume est portée par une force rare je trouve.

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  4. J’adore ces romans qui épousent l’histoire aux sentiments humains pour les rendre plus vivants.

    J’aime aussi ces profils, comme Antoine ici, que l’ont voit évoluer sous nos yeux au fil des pages. Un homme qui devient homme, qui se lie d’amitié et qui apprend la vie, l’amour familial, la méfiance aussi, le courage.

    Je me souviens d’avoir lu ta chronique sur « Profession du père ». Cet auteur a un réel talent pour nous émouvoir…

    Bonne semaine Céline

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    1. Oui, c'est vraiment un auteur particulier, doté d'une plume très sensible. J'aime vraiment beaucoup...

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  5. Il faut absolument que je lise celui-ci :) !

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  6. Un roman qui a l'air touchant. Je le rajoute à ma wish-list :)

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  7. J'avais été bouleversée par le film "Au nom du père" de Jim Sheridan ! Et ce roman m'y fait un peu penser du coup ^^ Je le note car le sujet est intéressant, merci Céline :)

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    1. Je ne connaissais pas ce film! Je le note aussi! Merci beaucoup!

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  8. Ce roman a l'air sublime et poignant. Je le note, merci pour cette découverte!

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