lundi 27 juillet 2015

Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, Mathias Enard

En débarquant à Constantinople le 13 mai 1506, Michel-Ange sait qu'il brave la puissance et la colère de Jules II, pape guerrier et mauvais payeur, dont il a laissé en chantier l'édification du tombeau, à Rome. Mais comment ne pas répondre à l'invitation du sultan Bajazet qui lui propose - après avoir refusé les plans de Léonard de Vinci - de concevoir un pont sur la Corne d'Or ?

11 mai, voile latine, tourmentin, balancine, drisse, déferlage.
Voilà un extrait du carnet usé dans lequel Michel-Ange consignes des trésors. Des mots, de simples mots, ses dépenses, ses fournitures... Tout ce qui croise son chemin.

Mathias Enard s'attarde sur un fait de l'histoire tombé dans les limbes de la mémoire : la conception de ce pont sur la Corne d'Or à Constantinople et le voyage du sculpteur Michel-Ange sur les terres du sultan Bajazet.

À travers de très courts chapitres, autant de traits au fusain sur une feuille de papier, l'auteur nous dépeint ce monde qui s'affronte, cette fracture entre l'Orient et l'Occident qui finissent par se rencontrer dans un équilibre précaire. Par de fins coups de crayons, Constantinople vibre et respire, abritant petits et grands dans son giron.

12 mai, garcette, cabestan, varangue coupée, carlingue.

Le talent de Michel-Ange est loué et reconnu, mais cela ne lui assure pas une vie sauve. Les puissants restent les puissants, en Orient, en Occident ou ailleurs, et son départ de l'Europe ne manque pas de contrarier ceux qui pensaient l'avoir sous sa coupe.

13 mai 1506, étoupe, amadou, briquet, mèche, cire, huile.

Rien n'est dit, tout est dit. L'auteur évoque par effleurements cette réalité qui inspire et expire en évitant de trop attirer les regards. L'adaptation difficile, la langue, ces coutumes différentes, ces peuples qui cohabitent, les expulsés de l'Andalousie qui cherchent leur place, l'amour... Cette danseuse andalouse, ou peut-être est-ce un danseur, à la voix envoûtante qui va hanter les nuits de l'artiste. La fidélité de son traducteur qui est aussi poète.
La tristesse, la débauche, l'alcool qui coule à flot.

14 mai, dix petites feuilles de papier lourd et cinq grandes, trois belles plumes, un encrier, une bouteille d'encre noire, une fiole de rouge, mines de plomb, porte-mine, trois sanguines.

Les lettres que Michel-Ange envoie en Europe dans l'espoir de son retour ponctuent le récit. Le Pape sait-il où il se trouve ? Qu'en est-il de l'argent qu'on lui doit ?

Le rythme est lent, aussi envoûtant que cette voix qui berce Michel-Ange et les évènements n'en sont que plus violents.

Deux ducats à Maringhi, ladre, voleur, étrangleur.
Heureusement la mie de pain et le charbon sont gratuits.

J'ai beaucoup aimé cette lecture, cette immersion dans ce monde qui se construit. Je comprends pourquoi ce petit roman a été primé : une lecture forte dont l'intelligence et la sobriété des mots sert à merveille le récit.



14 commentaires:

  1. Oh ca a l'air très particulier, je le note !

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  2. Je ne connaissais pas du tout ce roman, mais j'adore le titre ! Il a l'air vraiment interessant, merci pour la découverte =)

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    1. Le titre est superbe. C'est une citation de Kipling qui prend son sens à la lecture du roman.

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  3. Je ne connaissais pas du tout mais contente de voir que tu as été emportée par l'histoire comme ça !

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  4. C'est une lecture qui ne m'aurait jamais interpellé sans ta chronique et qui pourtant grâce à toi, me donne envie de découvrir ce pays, cette culture, ce monde. :)

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    1. Je suis contente alors. C'est un roman court qui vaut vraiment le détour!

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  5. Jamais entendu parler de ce livre mais je me le rajoute à ma wish-list ! ;)

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    1. Une très jolie lecture pour moi! J'espère qu'il te plaira!

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  6. Tout ce qui touche, de près ou de loin, à la vie de Michel-Ange m'intéresse ! Ce roman fera donc l'objet d'une prochaine découverte, c'est certain ^^ Merci pour ce billet hyper tentateur :)

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  7. J'ai lu ce livre quand j'étais au lycée, il était planqué entre deux gros pavés, et j'ai adoré! C'était une très belle lecture, je pense même à le racheter!!

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