jeudi 23 janvier 2014

Mapuche, Caryl Ferey






Jana est Mapuche, fille d’un peuple indigène longtemps tiré à vue dans la pampa argentine. Rescapée de la crise financière de 2001-2002, aujourd’hui sculptrice, Jana vit seule à Buenos Aires et, à vingt-huit ans, estime ne plus rien devoir à personne.
Rubén Calderon aussi est un rescapé un des rares « subversifs » à être sorti vivant des geôles clandestines de l’École de Mécanique de la Marine, où ont péri son père et sa jeune sœur, durant la dictature militaire.
Trente ans ont passé depuis le retour de la démocratie. Détective pour le compte des Mères de la Place de Mai, Rubén recherche toujours les enfants de disparus adoptés lors de la dictature, et leurs tortionnaires...
Rien, a priori, ne devait réunir Jana et Rubén, que tout sépare. Puis un cadavre est retrouvé dans le port de La Boca, celui d’un travesti, « Luz », qui tapinait sur les docks avec « Paula », la seule amie de la sculptrice. De son côté, Rubén enquête au sujet de la disparition d’une photographe, Maria Victoria Campallo, la fille d’un des hommes d’affaires les plus influents du pays. Malgré la politique
des Droits de l’Homme appliquée depuis dix ans, les spectres des bourreaux rôdent toujours en Argentine. Eux et l’ombre des carabiniers qui ont expulsé la communauté de Jana de leurs terres ancestrales...

Cela faisait très longtemps que je n’avais pas lu de thriller. A dire vrai, cela peut même se compter en années, et honnêtement, n’eût été le titre et la thématique du roman de Caryl Ferey, je ne sais pas si j’aurais renoué avec ce genre, du moins à ce moment précis. 

L’on ignore bien souvent le passé des autres, tout au plus connaît-on des bribes du passé de notre propre pays. La Seconde Guerre Mondiale, les camps de concentration et son lot d’atrocités : voici ce qui bien souvent définit pour nous la face noire de l’humanité. Mais on oublie que cette humanité ne se réduit pas à la France ou à l’Europe. 

De l’Amérique Latine, ne filtrent que les quelques infos distillées par la presse. Des dictatures ? Castro ? -Peut-être…Pinochet ? -Éventuellement, c’est un nom que l’on a pu entendre. Jorge Rafael Videla ? – hein ? Quoi ?

Si l’on y réfléchit bien, cet oubli est d’ailleurs dramatique. On vit dans une société égoiste, nombriliste, qui a déjà du mal à régler ses comptes avec elle-même. Alors ceux des autres… Et l’Argentine est loin d’avoir réglé ses comptes avec son passé, d’autant plus que celui-ci est proche, très proche (1976-1983). C’est un pays qui se reconstruit, tant bien que mal, qui tente de faire face, mais il y a tellement de zones d’ombre, d'horreurs, qu’il est difficile de savoir par où s’y prendre. On ne peut faire table rase du passé.

Caryl Ferey nous entraîne dans la noirceur de cette Argentine contemporaine qui ne sait pas comment panser ses blessures. Tandis que certains veulent oublier –bourreaux et victimes-, d’autres demandent réparation –familles des victimes (Mères de la Place de Mai), victimes elles-mêmes -, ce que le gouvernement n’est pas en mesure de leur donner pour le moment. L’ombre des vivants (les tortionnaires) est là, tout comme celle des desaparecidos (les disparus). 

A l’image de Paula, l’un des travestis du roman, le pays tâtonne dans son appréhension de ce temps pas si révolu que cela.  Le portait que nous dresse l’auteur est sanglant, violent, sans complaisance, à l’image de ces écorchés vifs qui déambulent au fil des pages. 

Âmes sensibles s’abstenir, c’est un roman percutant, où rien n’est gratuit, jamais occulté. Caryl Ferey énonce les choses, les faits, sans fioritures.  Les mots sont durs, aussi dure que cette réalité, part entière de la société. 

Mais à travers ces ténèbres, une lueur d’espoir : l’histoire d’amour qui répare, qui fait avancer. L’amour qui fera renaître de ses cendres l’Argentine, et réconciliera les peuples. Et la plume de Caryl Ferey, si rude, revêt des tons de velours et nous embrasse de sa douceur. J’ai suivi cette lumière tout au long du roman, elle m’a donné de l’air, fait respirer, m’a donné la force de poursuivre, parce que l’avenir est amour…

Un roman magistral (un grand bravo pour le travail de documentation), pour lequel je n’aurais qu’un seul regret : le titre. Il m’avait laissé croire que nous allions nous immerger dans les communautés indigènes (les Mapuches), alors qu’on ne fait que les frôler du doigt avec le personnage de Jana. Mais quel personnage… Alors finalement cela n’a pas d’importance. C’est un roman dont je ne suis pas sortie indemne. Véritable drogue… Malgré sa rudesse, je n’ai pu le lâcher.

8 commentaires:

  1. J'ai lu quelques romans de cet auteur que j'ai beaucoup aimé. J'inscris celui-ci comme le prochain à lire :) !

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    1. J'ai découvert l'auteur avec ce roman. Qu'as-tu lu de lui? J'ai très envie de poursuivre dans mes lectures avec un autre de lui, mais je ne sais pas trop lequel.

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    2. Hum... Je te conseillerai bien Zulu, que j'ai beaucoup aimé. Sinon, il y a les deux tomes : Haka et Zulu, qui sont également très bons :)

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    3. Je note! Zulu me tente bien!

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  2. Il est dans ma PAL, il faut absolument que je le lise ! (Je le dis depuis trop longtemps ^^)

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    1. C'est un roman marquant... On en sort par indemne. Merci de ton passage!

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  3. Bonjour,
    merci déjà d'être passé sur mon blog, c'est vraiment gentil !!

    Je suis contente qu'il te plaise ça me fait plaisir.

    Ah Sire Cédric c'est spécial, ou on aime ou on aime pas !
    Par contre pour découvrir son style commence par du soft comme l'enfant des cimetières c'est du même auteur. (j'ai aussi chroniqué ce livre si tu veux aller voir).

    Si tu lis un de ses romans je serais heureuse de savoir ce que tu en as pensé !

    Pour ma part je connais Caryl Ferey avec le livre "La jambe gauche de Joe Strummer" je ne connaissais pas celui là. Je le note pour un prochain achat !

    A bientôt j'espère.

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    1. Je note pour Sire Cédric!
      J'adore Caryl Ferey, Mapuche est magnifique... Je n'ai pas lu celui dont tu me parles par contre, je note!

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